Swami Rama Tirtha

MAYA ou LE "QUAND" et le "POURQUOI" DU MONDE

(Traduction : Gaura Krishna, parue dans RAMA NAMA n° 23-24 d'octobre-novembre 1995)


 

Souverain, Gouverneur et Contrôleur de Maya sous la forme de Mesdames et Messieurs,

Le sujet du discours de ce soir est Maya. C'est un sujet que des critiques superficiels considèrent comme le point le plus faible de la philosophie du Vedanta. Nous discuterons aujourd'hui de ce point le plus faible. Tous ces philosophes et tous les penseurs qui ont étudié la philosophie du Vedanta disent de manière unanime que si cette Maya pouvait être élucidée, alors tout le reste du Vedanta serait acceptable, tout le reste serait vraiment naturel, vraiment évident, vraiment clair, vraiment bénéfique et vraiment utile. C'est la seule anicroche, la seule pierre d'achoppement sur le chemin des étudiants du Vedanta. C'est un vaste sujet. Pour pouvoir l'épuiser complètement, on doit consacrer environ 10 conférences à ce seul sujet et alors il pourra être posé sur une base si limpide, si claire, qu'aucune question ou aucun doute sous le soleil ou sur la face de la terre ne pourra rester sans réponse ou inconnu; on peut tout rendre clair, mais cela demande du temps. Il ne faut pas s'attendre à ce que les lecteurs pressés et les auditeurs pressés le comprennent complètement.

La question est : "Pourquoi ce monde ?" "D'où vient ce monde ?" ou, pour poser la question dans un langage védantique : "Pourquoi cette ignorance dans l'univers ?". Vous savez, le Vedanta prêche que l'univers est irréel, qu'il n'est qu'un simple phénomène. L'ignorance n'est pas éternelle. Tous ces phénomènes ne sont ni réels ni éternels. Vient la question : "Pourquoi cette ignorance doit-elle exister ?". Pourquoi cette ignorance, qui est la cause de ces phénomènes, ou pourquoi cette Maya qui est à la racine de tous ces meum et teum, de ces différences et de cette différenciation, pourquoi cette Maya ou ignorance doit-elle surpasser le vrai Soi ou Atman ? Pourquoi cette Maya ou ignorance doit-elle être plus puissante que Dieu. Telle est la question.

Dans le langage commun, dans le langage des autres philosophes et théologiens, la question est : "Pourquoi ce monde doit-il tout simplement exister ?". Pourquoi Dieu a-t-il dû créer ce monde ? Le Védanta dit : "Non, mon frère, tu n'as pas le droit de poser cette question. Il n'y a pas de réponse à cette question." Le Vedanta dit clairement qu'il n'y a aucune réponse à cette question. Le Vedanta dit que nous pouvons te prouver expérimentalement et directement que ce monde que tu vois n'est en réalité rien d'autre que Dieu et nous pouvons te montrer de manière décisive par l'expérience que lorsque tu avances assez loin dans la réalisation de la Vérité, ce monde pour toi disparaît; mais pourquoi ce monde doit-il exister après tout ? Nous ne répondons pas à cette question. Tu n'as pas le droit de poser cette question. Le Vedanta confesse clairement son incapacité de répondre à cette question, et ici tous les autres théologiens et dogmatistes et tous les philosophes superficiels viennent et disent : "Oh, la philosophie Vedanta est imparfaite, imparfaite, elle ne peut expliquer "le pourquoi et le d'où du monde" Le Vedanta dit : "Frère, examine les réponses que tu fais toi-même à la question du 'pourquoi et du d'où' du monde, examine les attentivement, et tu verras que tes réponses ne sont pas du tout des réponses." C'est une simple perte de temps que de demeurer sur cette question, une pure perte de temps que de rester sur cette question, une pure perte de temps et de travail. C'est laisser partir un oiseau qui était dans une main pour en rechercher deux autres dans le buisson. Ils s'envoleront avant que tu les attrapes et tu perdras l'oiseau qui est dans ta main. Celui-là aussi s'envolera. Le Vedanta dit que toute Philosophie et que toute Science doit aller du connu à l'Inconnu. Ne mets pas la charrue avant les boeufs; ne commence pas à partir de l'Inconnu pour venir ensuite au connu.

Il y avait une rivière qui coulait. Sur ses bords se trouvaient quelques personnes qui philosophaient sur son origine. L'une d'elles dit : "Cette rivière vient des rochers, des pierres, des collines. En sortant des collines, l'eau jaillit en une source, et voilà la cause de cette rivière." Un autre homme dit : "Oh, non ! Impossible. Les pierres sont dures, vraiment résistantes et rigides, et l'eau est si liquide et tendre. Comment une eau tendre pourrait-elle sortir de pierres dures ? Impossible, impossible ! La raison ne peut croire que des pierres dures donnent de l'eau tendre. Si les pierres pouvaient donner de l'eau, alors laisse-moi prendre ce morceau de pierre et le serrer. Aucune eau ne coule de ce morceau. Ainsi l'énoncé selon lequel cette rivière vient de ces montagnes est absurde. J'ai une excellente théorie. Cette rivière vient de la transpiration d'un immense géant qui se trouve quelque part. Nous voyons chaque jour que quand une personne transpire, de l'eau coule de son corps. C'est de l'eau qui coule; elle a dû couler du corps de quelqu'un qui transpire; c'est raisonnable, nos intellects peuvent l'accepter. Cela semble être plausible, c'est bon." Un autre homme dit : "Non, non. Il y a quelqu'un qui transporte son eau, qui fabrique l'eau, et c'est la cause de la rivière."

Ces gens disent maintenant : "Voyez, voyez, toutes nos théories sont vraisemblables, toutes ces théories sur l'origine de l'eau sont raisonnables. Chaque jour nous voyons des choses du même genre. Ces théories sur l'origine de la rivière sont très plausibles, elles sont très raisonnables, elles semblent être bonnes et magnifiques, mais la théorie de l'eau qui coule à partir des pierres, l'intellect normal de l'homme qui n'a jamais vu d'eau jaillir de pierres, qui n'est jamais allé dans les montagnes, il ne l'acceptera pas, et pourtant elle est vraie". Et sur quoi repose la vérité de cette théorie ? Sur l'expérience, l'expérimentation, sur l'observation directe.

De même pour l'origine du monde. Pourquoi ce monde et d'où vient-il ? L'origine du courant de ce monde, l'origine du courant de l'univers, de la rivière de la vie, cette origine est décrite différemment par différentes personnes. L'origine du monde, selon les gens qui ont le genre d'intellect qui attribue l'origine de la rivière à la salive ou à la transpiration, est vue comme quelque chose du même genre que ce qu'ils observent tous les jours autour d'eux. Ils disent : "Voici un homme qui fait des bottes, les bottes ne peuvent pas se faire sans qu'il y ait quelqu'un qui ait l'intention ou le dessein de les faire. Voici un homme qui fabrique une montre. En bien la montre ne pourrait se faire sans quelqu'un qui ait l'intention, le projet ou le dessein de la fabriquer. Voici une maison. La maison ne pourrait pas qse faire sans quelqu'un qui ait un projet et un dessein. Ils voient cela tous les jours, alors ils disent : "Voici le monde. Le monde ne pourrait pas avoir été fait sans une sorte de personne du même genre que le cordonnier, le bijoutier, le maçon, aussi doit-il y avoir un fabriquant-du-monde, qui fait ce monde, et ils disent ainsi qu'il y a un Dieu personnel qui se tient au-dessus des nuages et qui ne prend pas en pitié le pauvre gars qui peut avoir froid. Ils disent qu'un Dieu personnel doit avoir fait ce monde."

Leur argument semble être très plausible, très vraisemblable et très raisonnable. Il semble être du même genre que les arguments de ces gens qui disent que la rivière vient de la transpiration de quelqu'un, qui regardent l'origine de la rivière comme étant du même genre que l'eau qui sort des corps. Aussi le monde doit-il avoir été fait par quelqu'un.

Le Vedanta ne propose aucune théorie de la sorte. Non, non, il ne le fait pas. Le Vedanta dit : vois-le, fais-en l'expérience, observe-le; par la réalisation directe tu verras que ce monde n'est pas ce qu'il semble être. Comment cela se fait-il ? Le Vedanta dit : je peux aller jusqu'à t'expliquer que l'eau vient de ces pierres. Comment l'eau sort des pierres, je peux ou ne peux pas te le dire, mais je sais que l'eau sort des pierres. Suis-moi jusqu'à cet endroit et tu verras l'eau jaillir des pierres. Que je ne puisse pas dire pourquoi l'eau sort des pierres, ne m'en blâme pas; blâme l'eau, elle vient des pierres. Je suis incapable de te dire comment l'eau sort des pierres, mais cela n'en demeure pas moins un fait, tu peux le vérifier par toi-même.

De la même manière le Védanta dit que, que je sois capable ou non de vous dire pourquoi cette Maya ou ignorance existe, cela demeure un fait. Pourquoi elle apparaît, je ne peux pas être capable de vous le dire. C'est un fait, un fait expérimental. L'attitude védantique est purement expérimentale et scientifique. Elle n'établit pas d'hypothèse, elle ne met en avant aucune théorie. Elle ne clame pas qu'elle est capable d'expliquer l'origine du monde; cela est au-delà du domaine de l'intellect ou de la compréhension. C'est la position du Vedanta. Ceci est appelé Maya. Pourquoi le monde apparaît-il ? Le Vedanta dit : parce que vous le voyez. Pourquoi le monde est-il là ? Le Vedanta dit simplement : parce que vous le voyez. Si vous ne le voyez pas, il n'y a pas de monde. Comment savez-vous que le monde est là ? Parce que vous le voyez. Ne voyez pas, et où est le monde ? Fermez les yeux, un cinquième du monde s'en va; cette partie du monde que vous percevez par vos yeux n'est plus là. Fermez vos oreilles et un autre cinquième s'en va. Ne mettez aucun de vos sens en activité et il n'y a plus de monde. Vous voyez le monde et vous devriez expliquer pourquoi le monde est là. Vous le faites être là. Vous devez répondre vous-même. Pourquoi me questionnez-vous ? Vous faites le monde être là.

Il y avait un enfant. Il voyait dans un miroir l'image d'un petit garçon, sa propre image, et quelqu'un disait à l'enfant qu'il y avait dans le miroir un petit enfant très beau, cher petit enfant, et lorsqu'il regarda dans le miroir, il vit un cher petit garçon, mais l'enfant ne savait pas que c'était son propre reflet, il le prenait pour un garçon étranger dans le miroir. La mère de l'enfant voulut ensuite le persuader que l'enfant dans le miroir n'était que son propre reflet et non un vrai garçon; mais elle ne put l'en persuader, il ne pouvait pas comprendre qu'il n'y avait réellement pas d'autre garçon dans le miroir. Quand la mère dit : "Regarde, c'est un miroir, il n'y a pas de garçon dedans", l'enfant se leva vers miroir et dit : "Oh Maman, Maman, voilà le garçon ! Pourquoi ! Le garçon est là". Quand le garçon disait : "le garçon est là", dans l'acte-même de dire : "l'enfant est là" il jetait son propre reflet dans le miroir. La mère voulut encore le persuader qu'il n'y avait aucun garçon réel dans le miroir; le garçon voulut encore avoir une preuve ou une démonstration. Le garçon se leva vers le miroir et dit : "Regarde, le garçon est là", et par l'acte-même de prouver qu'il y avait un garçon dans le miroir, l'enfant mettait l'objet dans le miroir.

De même, lorsque vous vous levez et dites : 'pourquoi le monde, d'où le monde, comment le monde', au moment-même où vous commencez vos investigations sur l'origine, le pourquoi et la raison du monde, vous mettez le monde là, vous créez le monde là. Alors comment pouvez-vous connaître l'origine et la raison du monde ? Comment connaîtrons-nous son origine ? Comment irons-nous au-delà de lui ? Comment le transcenderons-nous ? Cela devrait se faire plus clairement, à la fois du point de vue micro-cosmique et du point de vue métaphysique. Certains disent qu'un dieu profane a créé le monde, qu'il y a un créateur quelque part. S'ils voient une maison, ils savent qu'elle a été faite par quelqu'un, aussi disent-ils que ce monde a été fait par quelqu'un. Maintenant la question est : pour créer le monde, ce créateur devait être quelque part. Où était-il ? S'il se tenait quelque part, s'il avait un endroit où demeurer, alors le monde était déjà présent avant d'être créé, parce que l'endroit où demeurer devait être quelque part dans le monde. Le monde était présent avant d'être créé. Lorsque vous commencez à examiner quand le monde a commençé, vous voulez séparer deux idées, l'idée de quand, pourquoi et comment d'un côté, et l'idée du monde de l'autre; et les mots pourquoi, quand et comment, les idées de temps, d'espace et de cause, ne sont-elles pas une partie du monde ? Ne sont-elles pas du monde ? Elles le sont de manière certaine. Et ici, notez, vous voulez connaître l'origine, le pourquoi et le comment du monde entier. La question tourne autour du pourquoi, du quand et du comment. Notez-le. Temps, espace et cause sont aussi du monde, non au-delà du monde. Le temps n'est pas au-delà du monde que vous connaissez. Au moment-même où vous commencez à dire : 'quand le monde commença', le monde est d'un côté et l'idée du quand de l'autre. Là vous gardez le monde avant le monde. Ceci est très subtil et très difficile, et vous allez gentiment écouter soigneusement, très attentivement.

Le monde a débuté, quand ? Là vous voulez mettre le monde en-dehors de lui-même; vous voulez séparer l'idée du quand d'avec le monde; vous voulez mesurer le monde par quand et pourquoi, mais vous savez que quand et pourquoi sont eux-même le monde. Vous voulez transcender le monde, aller au-delà du monde, vous voulez sauter par-delà le monde, et vous y placez le monde.

Un inspecteur vint un jour dans une école et posa cette question aux garçons : "Si un morceau de craie peut tomber dans l'air, quand touchera-t-il la terre ?". Un garçon répondit : "Dans tant de secondes." Si un morceau de pierre peut tomber de telle ou telle hauteur, en combien de temps tombera-t-il ?" Le garçon répondit : "En tant de temps.". Puis l'inspecteur dit : "Si cette chose peut tomber, combien de temps cela prendra-t-il ?". Le garçon répondit. L'examinateur posa alors une question-piège : "Si la terre tombe, combien de temps cela lui prendra-t-elle ?" Les garçons étaient confondus. Un garçon malin répondit : "Laissez-moi d'abord savoir où la terre va tomber."

Nous pouvons de même nous poser la question de savoir quand cette lampe a été allumée, quand cette maison a été construite, quand cette fleur a été plantée, etc.. Mais quand nous posons la question : "Quand la terre fut-elle créée; quand le monde fut-il créé ?' cette question-piège est du même genre que la question : "Combien de temps mettra la terre pour tomber ? Où la terre tombera-t-elle ?" Pourquoi, quand et comment sont eux-mêmes une partie du monde, et lorsque nous parlons de ces pourquoi, quand et comment du monde entier, alors nous tournons en rond, faisant un sophisme logique. Pourriez-vous sauter en dehors de vous-mêmes ? Non. Pareillement, pourquoi, quand et comment étant eux-mêmes du monde, ils sont partie du monde, ils ne peuvent expliquer le monde, l'univers entier. Voilà ce que dit le Vedanta.

Cela va être maintenant expliqué d'une manière différente.

Voici un homme endormi, et il voit dans son sommeil il voit toutes sortes d'objets. Il est le sujet et l'objet; le sujet du rêve, notez-le, le sujet désorienté du rêve, et des bois, des rivières, des montagnes et autres choses. Là les objets du rêve et le sujet font leur apparition de manière simultanée, comme il a été montré l'autre soir. Le sujet dans un rêve, le voyageur dans un rêve, peut-il dire quand ces rivières, montagnes, lacs et autres paysages sont venus à l'existence ? Aussi longtemps que vous rêvez, pourriez-vous dire quand ces objets viennent à l'existence ? Non, jamais. Lorsque vous êtes en train de rêver, les rivières, les vallons, les montagnes et les paysages vont vous paraître éternels, ils vont tous vous paraître naturels comme s'ils existaient de toute éternité. En tant que sujet rêvant, vous ne supposerez jamais que vous ayez jamais commencé votre rêve, vous regarderez cela comme réel, et tous ces vallons, rivières, paysages sembleront éternels; vous ne pourrez jamais connaître leur origine; vous ne pourrez jamais connaître le pourquoi, quand et comment du rêve aussi longtemps que vous êtes en train de rêver. Réveillez-vous, et tout s'en va, réveillez-vous et tout disparaît.

De la même manière vous voyez dans ce monde toutes sortes d'objets; ils semblent réels, et il semble n'y avoir aucune fin, tout comme dans un rêve il n'y a pas de fin; vous ne pouvez savoir quand le rêve a commencé. Pouvez-vous dire quand le Temps a commencé ? C'est une antinomie qui a aussi été montrée par Kant. Quand le Temps commença-t-il ? Lorsque vous dites que le temps a commencé à tel moment, vous posez le Temps. Cette question est impossible. Où l'Espace a-t-il commencé ? La question est impossible. Au-delà d'où l'Espace a commencé, vous posez un point où il a commencé; le commencement de l'Espace est entouré par l'idée de 'où' et l'idée de 'où' inclut celle de lieu. La question est impossible. Où la chaîne de la Cause a-t-elle commencé ? La question est impossible. Pourquoi la chaîne de la Cause a-t-elle commencé ? Cette question est de la même manière elle aussi impossible. Oh, si vous montrez un commencement à la chaîne de la Cause, là vous voyez que l'idée de pourquoi est elle-même cause. Cela va au-delà de vous. C'est une question à laquelle on ne peut répondre. Il n'y a pas de fin au temps, à l'espace ou à la cause, que ce soit de ce côté-ci ou de l'autre. Schopenhauer l'a prouvé; Herbert Spencer l'a prouvé; tout chercheur vous montrera qu'il n'y a pas de fin à cela, aucune fin, aucune fin. Dans les rêves aussi, il n'y a aucune fin au genre particulier de temps que vous percevez dans le rêve, d'un côté ou de l'autre; dans les rêves il n'y a pas non plus de fin au genre particulier d'espace que vous percevez dans vos rêves. Dans les rêves il n'y a pas de fin au genre particulier de cause que vous voyez en eux.

Ainsi en est-il à l'état de veille. Tous ces gens qui essaient de répondre à cette question de manière empirique se perdent, raisonnant en rond et se confondant eux-mêmes. Toutes les solutions empiriques du problème sont ainsi impossibles. Lorsque le sujet (rêvant) s'éveille, le problème entier est résolu. Et en se réveillant, le sujet (rêvant) dit : "Oh, c'était un rêve, il n'y avait aucune réalité tout ce temps." Pareillement, en s'éveillant à une réalisation de la Vérité, en parvenant à cet état parfait de libération que le Vedanta soutient devant tout le monde, vous pouvez voir que tout ce monde n'était qu'un simple jeu, un simple jouet, une pure illusion, rien d'autre.

La même question de Maya est aussi posée de cette manière : "Si l'homme est Dieu, pourquoi doit-il oublier sa vraie nature ?" Le Vedanta répond : "Le vrai Dieu en vous n'a jamais oublié sa vraie nature; si le vrai Dieu en vous avait oublié sa véritable nature, il n'aurait pas tout le temps contrôlé, gouverné et régné sur cet univers. Alors qui a oublié ? Personne; personne n'a oublié. C'est juste comme un rêve. Dans le rêve, quand vous voyez diverses sortes d'objets, ce n'est pas vous qui voyez ces choses en réalité, c'est le sujet dans le rêve, qui est créé tout au long avec les autres objets du rêve, qui trouve tout cela, qui voit toutes ces scènes, et qui demeure dans ces vallons, ces montagnes et ces rivières. Le vrai Soi, l'Atman, le vrai Dieu n'a jamais oublié quoi que ce soit. Cette idée d'un faux ego est elle-même la création de Maya ou une illusion du même genre que les autres objets. Le véritable Soi n'a rien oublié. Lorsque vous dites : "Pourquoi Dieu s'est-il oublié Lui-même en l'homme ?", dans un petit soi égoïste, le Vedanta dit : "dans votre question il y a ce que les logiciens appellent l'erreur de circulus in probando, l'erreur d'un cercle dans la preuve. A qui posez-vous la question ? Posez-vous cette question au sujet qui rêve ou au sujet éveillé ? Au sujet qui rêve vous ne devez pas poser la question puisque le sujet qui rêve n'a rien oublié. C'est une création comme les autres objets qu'il voit, et au sujet réel dans l'état de veille vous ne pouvez pas poser la question. Qui posera la question ? Vous savez que le questionneur dans le rêve doit-être dans le rêve-même, et lorsqu'on enlève le sujet qui rêve, qui posera alors la question ? Toute dualité de question et réponse n'est possible qu'aussi longtemps que le rêve de Maya continue ou dure. Vous ne pouvez poser la question qu'au sujet qui rêve, et le sujet qui rêve n'en est pas responsable; enlevez le sujet qui rêve et le panorama entier, le rêve entier disparaît, et personne n'est laissé, posez la question. Qui posera la question à qui ?

Voici un bateau magnifique et voici le tableau d'un marin qui fait passer le bateau de l'autre côté de la rivière. Le marin est un très brave homme et c'est le maître du bateau, aussi longtemps qu'on le considère comme réel; le maître du bateau est le maître dans le même sens que le bateau est un bateau. En réalité le bateau n'est nulle part et le maître du bateau n'est nulle part. Les deux sont irréels. Mais quand nous indiquons à un enfant : "Viens voir ! viens voir ! quel beau maître du bateau !", ici à la fois le maître du bateau et le bateau sont du même genre. Nous n'avons aucun droit de dire que le maître du bateau est plus réel que le bateau lui-même.

De la même manière, selon le Vedanta, le Contrôleur, le Gouverneur, le Maître du monde ou Dieu, l'idée de Dieu ou du Créateur est en relation avec ce monde comme dans cette photo le conducteur du bateau, ou disons, le marin est en relation avec le bateau. Aussi longtemps que le bateau est là, le marin est aussi là. Lorsque vous réalisez l'irréalité du bateau, le marin disparaît aussi.

Pareillement l'idée d'un Contrôleur, d'un Gouverneur, d'un Créateur, d'un Fabricant, est est réelle pour vous aussi longtemps que le monde vous apparaît comme réel. Laissez le monde s'en aller et cette idée s'en va aussi. L'idée du Créateur implique une création - pourquoi, quand et comment ? La question du pourquoi, du quand et du comment du monde est en relation avec ce monde comme le marin avec le bateau; les deux font partie d'une seul tableau entier. S'ils sont tous les deux de la même valeur, les deux sont illusions. La question "le pourquoi, le quand et le comment" est aussi une illusion. La question : pourquoi, quand et comment c'est le conducteur, le marin ou celui qui mène ce monde. Quand vous vous éveillez et que vous réalisez la vérité, le monde entier devient pour vous comme le bateau dessiné sur la toile, et la question pourquoi, comment et qui était le conducteur ou marin, disparaît. Il n'y a aucun pourquoi, quand et comment dans la Réalité qui est au-delà du Temps, au-delà de l'Espace et au-delà de la Causation. Les gens disent que le monde est du à un Créateur personnel. Le Vedanta dit non (Neti). Ce mot 'Neti' apparaît fréquemment en sanscrit et a été corrompu par les américains en 'nit' : pas cela. La question est impossible et on ne peut y répondre.

Un autre homme vient et dit : "Dieu est tombé amoureux de Lui-même et Il a créé ce monde. Il a créé ce monde comme une maison-miroir, et Il a voulu se voir Lui-même dans toutes ces formes et Il a créé le monde." Le Vedanta dit : 'Neti': nit, pas cela'. Vous n'avez aucun droit de poser une telle hypothèse.

Un autre homme vient et dit que le monde a été créé il y a tant d'années. Le Vedanta dit : 'Neti : nit, pas cela'. La signification réelle du "pourquoi" est maya. Ma veut dire non et ya veut dire cela, et maya signifie pas cela. La question est telle que vous ne pouvez formuler. Pas cela. Maintenant la question est : "Le monde est-il réel ?" Le Vedanta dit : 'Neti, Maya, pas cela, nit'. Vous ne pouvez lpas dire qu'il est réel. Pourquoi non ? Parce que réalité signifie quelque chose qui dure toujours, qui demeure la même hier, aujourd'hui et à jamais. Cela est la réalité. Maintenant le monde dure-t-il toujours ? Il ne dure pas toujours, aussi ne satisfait-il pas à la définition de la réalité. Il disparaît dans votre sommeil profond; il disparaît dans votre état de réalisation, de perfection ou de libération. Aussi ne dure-t-il pas toujours, en conséquence vous n'avez aucun droit de le dire réel. Le monde est-il irréel ? Le Vedanta dit : Neti, pas cela, Maya, nit. C'est très étrange. Le monde n'est pas irréel. Le Vedanta dit : "Non, il n'est pas irréel, parce qu'irréel signifie quelque chose qui n'existe jamais, selon la définition du Vedanta, comme les cornes d'un homme. Un homme a-t-il jamais possédé des cornes comme une vache ? Jamais. Cela est irréel, et le monde n'est pas irréel puisqu'il vous paraît être présent juste maintenant. Il vous paraît être présent, c'est pourquoi vous n'avez aucun droit de le dire irréel. Le monde est-il réel ? Neti, nit. Le monde est-il irréel ? Neti, nit. Alors le monde est-il partiellement réel et partiellement irréel ? Le Vedanta dit : 'Maya, Neti, nit.' Pas même çà. Les réponses à ces questions ont un autre nom : 'Mithya', c'est un mot qui est parent avec votre mot mythologie. Il signifie quelque chose que nous ne pouvons pas dire réel, que nous ne pouvons pas dire irréel, et que nous ne pouvons dire à la fois réel et irréel. Ainsi est votre monde.

Les athées disent qu'il n'y a aucun Dieu. Le Vedanta dit : 'Neti, nit, Maya.' Ils ont tort, car ils n'ont aucun argument pour dire qu'il n'y a aucun Dieu. Quelques personnes disent qu'il y a un Dieu personnel. Le Vedanta dit : 'Neti, nit, pas cela'. Vous n'avez aucun droit de faire une affirmation de ce genre. Le Vedanta dit qu'il y a un domaine où vous ne devriez pas mettre les pieds; c'est un domaine sur lequel vous ne pouvez apporter votre intellect. Votre intellect a assez de travail avec ce monde; laissez-le y travailler. "Rendez à César ce qui est à César et rendez à Dieu ce qui est à Dieu". Votre intellect a assez de travail sur le plan matériel, dans le domaine empirique, mais dans le domaine de la métaphysique vous ne devez venir que par un chemin et seulement par un chemin, et ce seul chemin est celui de la réalisation, ce chemin est le chemin de l'amour, du sentiment, de la foi, plutôt que du savoir - étrange sorte de savoir, étrange sorte de Conscience de Dieu. Lorsque vous venez vers cette région par le canal approprié, toutes les questions cessent, tous les problèmes se résolvent. Dans la Kena Upanishad du Sama Veda, nous avons un passage qui, traduit en français, donne quelque chose comme cela :

"Je ne puis dire que je le connais :
Ni dire que je ne le connais pas,
Au-delà du savoir et du non savoir Il est."

C'est exactement ce que disent les penseurs d'aujourd'hui. Herbert Spencer, dans la première partie de ses "Premiers Principes", "L'Inconnaissable", en vient exactement à la même conclusion que celle à laquelle arrive le Vedanta. Rama n'a pas besoin de vous lire ce qu'il dit, mais on peut en lire un petit passage.

"Il doit exister un principe qui, étant la base de la Science, ne peut être établi par la Science. Toutes les conclusions venant du raisonnement, quelles qu'elles soient, doivent reposer sur un postulat. Il doit y avoir un endroit où nous rencontrons la région de l'Inconnaissable, où l'intellect ne devrait pas s'aventurer, où il ne peut s'aventurer à aller." (1)

Tous les philosophes ont quelque chose de comparableà dire sur ce point. Notezle. Quelle erreur les gens commettent-ils quand ils imputent des motivations à Dieu, quand ils disent que Dieu doit avoir fait ceci, que Dieu doit avoir de la miséricorde, que Dieu doit avoir de l'amour, que Dieu doit avoir de la Bonté, que Dieu doit avoir cette qualité-ci ou cette qualité-là ! Quelle ils commettent, car toute classification est une limitation. En un seul souffle vous dites que Dieu est infini et fini, d'un côté vous dites qu'Il est infini et de l'autre vous dites : "Oh, Il possède cette qualité-ci et Il possède cette qualité-là". Lorsque vous dites qu'Il est bon, qu'Il n'est pas mauvais, alors Il est limité. Partout où il y a du mauvais, il n'y a pas de bon. Lorsque vous dites qu'Il est le Créateur, qu'Il n'est pas la créature, alors vous Le limitez; là vous notez un endroit où Il n'est pas. Il est le Tout. Et quand vous dites encore que Dieu a créé le mopnde pour ceci et cela, vous faites de Dieu une personne qui peut venir donner un compte-rendu de ses actes, comme un homme vient donner un compte-rendu de ces actes devant un magistrat. De même lorsque vous tenez Dieu responsable de quelque chose ou que vous Lui attribuez des motivations, des desseins ou des projets, vous vous faites pratiquement vous-mêmes magistrat ou juge, et vous faites de Dieu une personne qui a fait certains actes, qui est venu devant vous pour rendre compte de Son travail. Là vous Le limitez. Le Vedanta dit que vous n'avez aucun droit de porter Dieu devant votre tribunal. Abandonnez cette question; elle est illégitime.

Le mot Vedanta signifie : esclavage envers aucun individu. Le mot Musulman dépend du nom de Mohammed (Mahomet) Quoiqu'ai dit ou fait Mohammed, on doit le croire. Le mot Chrétienté est : esclavage envers le nom du Christ. Le mot Buddhisme est : esclavage envers un nom particulier : Buddha. Le mot Zoroastrisme est : esclavage envers un le nom particulier de Zoroastre. Le mot Vedanta n'est pas esclavage envers quelque personnalité ou individualité que ce soit. Le mot Vedanta signifie littéralement : la fin ou le but de la connaissance. Le mot Vedanta signifie : la Vérité, et il n'y a donc rien de sectaire en lui. Il est universel. N'ayez aucun préjugé envers lui parce qu'il porte un nom qui ne vous est pas familier. Vous pouvez l'appelez : la vérité, comme elle est prêchée et comprise par les Hindous. Vous savez que toute Vérité, où qu'on la recherche, que ce soit en Allemagne ou en Amérique, parvient à la même conclusion. De n'importe quel lieu qu'un homme regarde le soleil, il le voit lumineux et brillant. Quiconque met de côté ses préjugés et s'en libère sera d'accord avec les conclusions du Vedanta. Elles seront vos propres conclusions, elles seront vos propres arguments et vos proprers résultats, si vous approchez librement la question en abandonnant librement tous préjugés, prédilections et conceptions toutes faites.

Rama va maintenant vous expliquer ce problème de Maya à la manière des Hindous et comment ils l'ont décrit et expliqué dans leurs anciennes Ecritures. Il l'expliquent de manière pratique, expérimentale. Ils appellent cette Maya vf oZpuh; (Anirvachaniya), dont le sens limité est 'illusion' et dont l'explication est 'quelque chose qui est indescriptible, qui ne peut être dit réel et qui ne peut être dit irréel, et qui n'est pas une combinaison de la réalité et de l'irréalité'. Ce monde entier est Maya ou illusion, et cette illusion est de deux sortes. Nous pouvons l'appeler illusion extrinsèque et intrinsèque.

Supposez que vous voyez un serpent dans le noir; il vous effraie à mort; vous tombez et êtes blessé. Qu'était le serpent ? Le serpent était-il réel ? Le Vedanta dit que le serpent n'est pas réel, car lorsqu'après coup vous vous approchez du lieu où se trouvait le serpent, il ne s'y trouve pas. Mais le serpent est-il irréel ? Le Vedanta dit : "Non, non". Vous n'avez pas le droit de dire que le serpent est irréel. Si le serpent avait été irréel, vous n'auriez pas reçu la blessure. Le serpent est une illusion, et une illusion n'est pas une réalité et elle n'est pas non plus une non-réalité, parce qu'irréel veut dire quelque chose qui ne semble jamais exister. Vous voyez un arc en ciel. L'arc en ciel est-il réel ? L'arc en ciel n'est pas réel, parce que quand vous vous approchez du lieu, vous ne le trouvez pas, et si vous changez de position, vous trouvez changée la position de l'arc en ciel. Est-il irréel ? Non, non, parce qu'il paraît exister là, il produit un effet sur nous. Il n'est pas irréel non plus. C'est une illusion.

Vous voyez votre image dans un miroir. Votre image est-elle irréelle ? Le Vedanta dit : "Non, elle n'est pas irréelle, parce qu'elle produit un effet sur vous, vous la voyez." Est-elle réelle ? Non, elle n'est pas réelle non plus. C'est une illusion. Maintenant cette illusion est de deux sortes, intrinsèque et extrinsèque; l'illusion intrinsèque est comme le serpent vu dans la corde (2). Une particularité de l'illusion intrinsèque est que lorsque l'objet illusoire est là, on ne voit pas l'objet réel; et lorsque l'on voit l'objet réel, l'objet illusoire n'est plus là. Les deux ne peuvent coexister. Dans une illusion intrinsèque la réalité et l'illusion ne peuvent coexister. L'objet illusoire qu'est le serpent et l'objet réel derrière lui, la corde, ne peuvent être vus ensemble. Si le serpent y est, la corde n'y est pas; et si la corde y est le serpent n'y est pas. L'un ou l'autre doit périr. L'un ou l'autre doit exister.

Mais dans l'illusion extrinsèque les deux coexistent; la réalité aussi bien que l'illusion, les deux peuvent coexister comme dans un miroir. Dans le miroir, l'objet, l'image, est irréel ou en termes de scientifiques c'est une image virtuelle, une image irréelle, une illusion. Le visage est l'objet réel. Maintenant le visage comme l'image coexistent; l'objet illusoire qu'est l'image et l'objet réel qu'est le visage coexistent. Ceci est la particularité de l'illusion extrinsèque, on voit un medium (un moyen) , un medium comme le miroir. Le miroir est le medium, l'objet illusoire est l'image et l'objet réel est le visage. Ainsi en fait, dans une illusion extrinsèque, trois choses sont présentes à la fois; dans une illusion intrinsèque, une seule chose est présente à la fois.

Les expérimentations des Védantins, qui vous prouvent l'unité de l'univers entier, sont du genre qui va vous être montré. Leurs expérimentations, leurs expériences, et leur développement religieux ainsi que leur réalisation de la vérité prouvent que ce monde est fait de deux sortes d'illusions, extrinsèque et intrinsèque. Lorsqu'un homme entreprend une vie religieuse et commence à réaliser la Divinité qui est en lui, il ne surmonte que l'illusion extrinsèque. Toutes les religions à la surface de la terre - Chrétienté, Mohammedisme (Islam), Bouddhisme, Zoroastrisme, toutes ces religions ont beaucoup fait en surmontant l'illusion extrinsèque, le Vedanta dit qu'elles sont toutes bien, mais le Védanta va un pas plus loin. Il surmonte aussi l'illusion intrinsèque, alors que les autres religions, comme une règle, s'arrêtent là. Là elles disent : "Le Vedanta nous est opposé". Non, non, il n'est pas opposé; il réalise simplement ce qu'elles avaient commencé, il ne leur est pas opposé. Mais vous allez dire : c'est nous parler sanskrit, que c'est nous parler en grec. Que voulez-vous dire ?

Nous allons maintenant dire quelque chose de très subtil. Aussi suivez très attentivement. Une corde est prise à tort pour un serpent. Un serpent est apparu dans la corde. A quelle sorte d'illusion le serpent était-il dû ? Le serpent était dû à une illusion intrinsèque. Vous savez que si le serpent est là, la corde n'y est pas; si la corde est là, le serpent n'y est pas. Une seule chose est vue à la fois. C'est l'illusion intrinsèque. Notez encore, ce serpent qui est apparu est un objet illusoire qui doit son existence à l'illusion intrinsèque. Ce serpent sert de même moyen à la corde sous-jacente que le miroir vous sert pour vous regarder dedans. Cela va vous être prouvé. Vous savez que le miroir vous sert de moyen, et que le miroir étant un moyen, vous voyez dans le miroir un objet illusoire, disons une image. Dans le cas du miroir vous avez une illusion extrinsèque. Nous allons maintenant montrer que dans le serpent pparaît dans la cordedu fait de l'illusion intrinsèque; ce serpent servira de moyen ou de miroir à la réalité sous-jacente ou corde, et nous aussi aurons sur le coup une illsion extrinsèque.

Un garçon vient vers vous et dit : "Papa, Papa, j'ai peur; là, il y a un serpent." Vous demandez : "Mon enfant, quelle longueur avait le serpent ?", et le garçon dit : "Le serpent avait environ deux mètres de long." Bon, de quelle grosseur était le serpent ? Et l'enfant dit : "Il était très gros. Il était aussi gros que le cable que j'ai vu l'autre jour dans le bateau qui quittait San Francisco." Nous demandons : "Bon, que faisait le serpent ?". Il dit : "Le serpent s'est enroulé sur lui-même." Vous savez qu'il n'y avait pas de serpent, que le serpent était irréel, qu'il n'y avait que la corde. La corde avait environ deux mètres de long, elle était aussi épaisse que le cable qu'il a vu le jour où le bateau a quitté San Francisco. La corde était enroulée sur le sol, et là les propriétés de la corde - sa grosseur, sa longueur et sa position - se sont, pour ainsi dire, reflété elles-mêmes dans le serpent illusoire. Là la corde donne son épaisseur, sa dimension et sa position dans le serpent illusoire. Le serpent n'était pas si long, la longueur ne s'appliquait qu'à la corde; le serpent n'était pas de cette épaisseur, l'épaisseur ne s'appliquait qu'à la corde; le serpent n'était pas dans cette position, la position ne s'appliquait qu'à la corde. Vous notez ainsi qu'au début nous avions le serpent comme résultat de l'illusion intrinsèque, et qu'en conséquence nous avons dans le serpent créé une autre sorte d'illusion que nous pouvons appeler illusion extrinsèque, les propriétés de l'une étant attribuées à l'autre.

Ceci est le second développement de l'illusion. Quel procédé doit-on adopter pour faire disparaître ces illusions? Nous ferons d'abord disparaître une illusion, puis nous ferons disparaître l'autre. Nous ferons d'abord disparaître l'illusion extrinsèque et ensuite l'illusion intrinsèque.

Selon le Vedanta, tout cet univers n'est en réalité rien d'autre que la Réalité indivisible, indescriptible que nous ne pouvons même pas appeler réalité, qui transcende tout langage, qui est au-delà du Temps, de l'Espace et de la Causation, au-delà de tout. Dans cette corde de la réalité, dans son substratum, sa substance ou quoique vous l'appeliez, sous-jacente, apparaissent les noms, les formes et les différenciations, ou vous pouvez l'appeler énergie, activité ou vibrations. Ils sont comme le serpent. Là vous voyez qu'après que cette illusion intrinsèque soit terminée, l'illusion extrinsèque survient, et à cause de l'illusion extrinsèque, nous regardons ces noms et ces formes, ces personnalités et ces individualités comme ayant une réalité en eux-mêmes, comme subsistant par eux-mêmes, comme existant par eux-mêmes, comme réels de leur propre fait. C'est ici la seconde illusion ou illusion extrinsèque mise en avant. Vous aller maintenant le comprendre quand nous renversons le processus.

Qu'ont fait les religions ? Qu'il soit dit au crédit de la Chrétienté bien-aimée, du Mohammedisme (Islam) bien-aimé, qu'il soit dit au crédit de ces religions qu'elles ont fait beaucoup en enlevant l'illusion extrinsèque; elles ont montré au genre humain que s'il vivait une vie pure, une vie d'amour universel, une vie d'extase divine, que si l'homme vivait une vie d'espoir, de foi et de charité, un amour sans bornes jaillissant de lui dans toutes les directions, remplissant l'univers entier de Divinité, qu'il verrait alors Dieu en tout. Notez simplement. Le véritable saint ou le vrai sage, le véritable Chrétien, le chrétien bien-aimé, trouve Dieu même dans les noms; il ne hait pas l'ennemi, mais il aime l'ennemi. Oh ! "Aime ton ennemi comme toi-même." Cette parole bénie de Jésus ! Il trouve le même Dieu dans les fleurs. N'avez-vous jamais réalisé cet état ? Les gens véritablement religieux l'ont réalisé. Les fleurs vous parlent, et vous trouvez des sermons dans les pierres, des livres dans les ruisseaux qui courent, les étoiles vous parlent, là où la Divinité vous regarde au-travers d'un visage humain. La Divinité requiert-elle une preuve intellectuelle ? Non, elle porte en elle sa propre preuve. Elle repose sur une preuve qui transcende toute la logique du monde et toute la philosophie du monde, sur une personne qui ressent Dieu partout, qui vit, bouge et a son être en Dieu, dans la Divinité. Grâce à ce genre de vie religieuse, par la pratique et par l'expérience, par l'expérimentation, on surmonte l'illusion extrinsèque. Comment ? Vous savez, vous dites que Dieu est dans toutes ces formes, que Dieu est dans toutes ces phases et ces formes et ces différenciations; en outre si vous regardez derrière elles, vous voyez au-delà d'elles la corde sous-jacente sous le serpent. Vous n'attribuez pas la longueur, la largeur et l'épaisseur au serpent, mais à la corde sous-jacente. Là vous ne vous dispensez que d'une illusion. Vous voyez Dieu derrière tout et lorsque vous réalisez cet état de vie religieuse, vous n'attribuez pas de motivations à vos amis ou à vos ennemis, mais vous voyez la Divinité en eux et vous observez le doigt de Dieu ou le doigt de la Providence derrière eux, et vous dites que la Divinité unique ou le Tout unique, qui est Dieu, fait toutes ces choses et je ne dois pas imputer de motivations à mes amis. Il y a une sorte d'illusion, l'illusion extrinsèque, qui est surmontée. C'est un pas dans votre avancement, mais le Vedanta va au-delà de cela et vous dit : "Frère, si tu dis que Dieu est en tous ceux-ci, ce n'est pas l'entière vérité, va au-delà." Toutes ces formes, toutes ces images et ces différences ou différenciations contiennent elles-mêmes Dieu, mais au même moment toutes ces différentes illusions et formes sont irréelles et elles sont comme le serpent dans la corde. Va au-delà de cela, et tu atteindras l'état qui est au-delà de tout cela, au-delà de toutes les idées, au-delà de tous les mots. Même eux sont irréels. Vous voyez que là le Vedanta est l'accomplissement de toutes les religions. Il ne contredit aucune religion de ce monde.

Nous allons montrer qu'il n'est pas nécessaire de dire que ce monde doit avoir été créé par ce Dieu-ci ou par ce Dieu-là. Il sera prouvé que ces formes et ces représentations, ces différentes figurations et situations sont ce monde et rien d'autre.

Voici deux triangles et un rectangle :

 

Ces deux triangles sont isocèles, deux côtés sont égaux. Les deux côtés égaux sont marqués 3 et le troisième côté 4. Dans le rectangle les plus petits côtés sont marqués 3 et les plus longs 4. Ces figures sont coupées dans du papier ou du carton ou tout autre chose. Placez-les de telle dorte qu'ils puissent former une figure ou que les bases des triangles puissent coïncider avec les longueurs les plus grandes du rectangle. Qu'est-ce que çà va devenir alors ? Nous allons obtenir un hexagone dont tous les côtés sont 3. Vous savez que les côtés marqués 4 sont venus à l'intérieur de la figure et qu'ils ne sont plus des côtés. Comment obtenons-nous cet hexagone ? Nous l'obtenons à partir d'une position différente ou d'une combinaison différente des triangles et du rectangle. Que peut-on dire sur les propriétés des figures originelles et de la figure qui en résulte ? Les propriétés de la figure qui en résulte sont complètement différentes de celles des figures composantes. Les figures composantes ont des angles aigus; la figure résultante n'a aucun angle aigu. Une des figures composantes (le rectangle) a des angles droits, et la figure résultante n'a aucun angle droit.

Les figures composantes ont des côtés 4 en longueur; la figure résultante n'a aucun côté de cette longueur. Aucune des figures composantes n'est équilatérale. La figure résultante est équilatérale et elle a aussi tous ses angles égaux. Nous voyons ici une création, toutes propriétés complètement inconnues avant. D'où viennent ces propriétés entièrement nouvelles ? Notez simplement, ces propriétés entièrement nouvelles n'ont été créées par aucun créateur. Ces propriétés entièrement nouvelles ne sont pas sorties des éléments composants, elles sont le résultat d'une nouvelle forme; elles sont le résultat d'une nouvelle position, d'une nouvelle configuration que le Vedanta appelle Maya. Maya veut dire nom et forme; elles sont le résultat des noms et des formes, notez cela. Regardez encore. Si chaque côté de ces deux triangles isocèles représente H, l'hydrogène, et le rectangle O, l'oxygène, cela vous donne H2O, l'eau. Ces éléments originaux, hydrogène et oxygène, ont des propriétés qui leur sont propres, et le composé qui en résulte est une chose entièrement différente. L'hydrogène et l'oxygène nous donnent de l'eau; l'hydrogène est combustible, mais l'eau ne l'est pas. L'eau a une propriété complètement inconnue de l'hydrogène. L'oxygène aide à la combustion mais pas l'eau. Elle a une propriété qui lui est propre, entièrement nouvelle. Nous voyons encore que cet hydrogène est très léger mais que l'oxygène ne possède pas la même légèreté. L'hydrogène remplit les ballons et vous élève dans les cieux, mais l'eau, le composé qui résulte, ne le fait pas. Les propriétés des éléments composants sont entièrement différentes de celles du composé qui en résulte. D'où viennent ses propriétés au composé qui résultant ? Les doit-il à un créateur ou aux parties composantes ? Non, elles viennent de la forme, d'une nouvelle forme, d'une nouvelle position, d'une nouvelle configuration. C'est ce que nous dit le Vedanta. Il nous dit que ce que nous voyons dans ce monde n'est que le résultat du nom et de la forme. Il n'est pas nécessaire de poser l'existence d'un Créateur pour ceci ou cela qui sont le résultat du nom et de la forme.

Voici devant vous un morceau de charbon et voici un diamant brillant, un éclatant diamant étincelant. Le diamant a des propriétés entièrement différentes de celles du morceau de charbon. Le diamant est si dur qu'il peut couper du fer, le charbon est si tendre qu'il laisse sa marque sur une feuille de papier quand vous le grattez sur le papier. Le diamant est si inestimable, si précieux et si brillant, et le morceau de charbon si bon marché, si laid et si noir ! Notez le contraste entre les deux, et pourtant ils ne sont en réalité qu'une seule et même chose. La science le prouve. Oh ! direz-vous, "Mon intellect ne peut appréhender cela". Que vous l'acceptiez ou non, c'est un fait. De la même manière, le Vedanta vous dit : voici quelque chose de mauvais et voici quelque chose de bon. Le diamant est bon et le charbon est mauvais. Voici quelque chose que vous appelez mauvais, et voici quelque chose que vous appelez bon. Voici quelque chose que vous appelez amis et voici quelque chose que vous appelez ennemis. Mais en réalité il n'y a qu'une seule et même chose qui leur est sous-jacente, tout comme le carbone apparaît tant dans le charbon que dans le diamant. Il n'y a ainsi en réalité qu'une seule et même divinité qui apparaît aux deux endroits. La différence réside dans le nom et la forme, en rien d'autre. Les scientifiques vous disent que les atomes de carbone du diamant sont situés différemment, ont une forme différente en faisant des molécules à partir de ce qu'ils sont dans le charbon.. La différence entre diamant et le charbon est uniquement dûe au nom et à la forme, ou à ce que les Hindous appellent maya. Toutes ces différences sont dûes au nom et à la forme.

De manière similaire, la différence entre le bien et le mal n'est dûe qu'à maya, au nom et à la forme, à rien d'autre; et ces noms et ces formes ne sont pas réels car ils ne durent pas toujours. Ils sont irréels parce que nous les voyons à un certain moment et ne les voyons plus à un autre. Ce phénomène de l'univers n'est rien d'autre que des noms et des formes, rien d'autre que des différenciations, des variations et des combinaisons. Et à quoi sont dûes ces différentes variations et combinaisons ? Elles sont dûes à l'illusion intrinsèque. Dans ces noms et ces formes du monde dûes à l'illusion intrinsèque, la Divinité Unique se manifeste. Dieu Se manifeste dans ces noms et dans ces formes du monde que l'on appelle maya. Ceci est dû à l'illusion intrinsèque. Allez au-delà de cela et vous êtes tout. Il voit en vérité celui qui voit tout de manière sembable; c'est un homme avec les yeux ouverts celui qui ne voit pareillement qu'une Seule Divinité.

Quelques lignes de la Gita vous l'illustreront :

Je suis le Sacrifice ! Je suis la prière ! ...
Cet Univers sans limite Je Suis,
Père, Mère, Ancêtre et Dieu !
La fin de tout Savoir ! Ce qui purifie
dans l'Eau Lustrale. Je suis Om ! Je suis.
Je suis le Rig, le Sama et le Yajur (vedas).
La Voie, Le Protecteur, le Seigneur, le Juge,
Le Témoin, la Demeure, le Refuge,
L'ami, la fontaine et la Mer de Vie
Qui envoie et avale la semence et le semeur
D'où jaillissent des moissons infinies ! La chaleur du Soleil est mienne,
Mienne la pluie du Ciel, qui accorde ou qui refuse;
Je suis la mort et Je suis la vie immortelle.

*

La chanson mélodieuse du Gange, la musique du pin ondulant,
Les échos de la guerre océane, le meuglement du troupeau,
La goutte de rosée, le lourd nuage s'amoncelant,
Le bruit du minuscule pied, le rire de la foule,
Le rayon du Soleil doré, le scintillement de la silencieuse étoile,
La lumière chatoyante de la lune d'argent répandant la clarté ici et au loin,
L'éclair de l'épée flamboyante, l'étincelle des bijoux brillants,
Le rayon de lumière du phare dans la nuit sombre et brumeuse,
La Terre pleine de fruits et la richesse glorieuse des Cieux,
Le son insonore, la lumière sans flamme,
L'obscurité sans ténèbre, et le vol sans ailes,
La pensée sans mental, la vision sans oeil,
La parole sans bouche, la si forte poigne sans main
Je Suis, Je Suis, Je Suis.

Om ! Om ! Om !