Souvenirs d'une fille

racontés par Smt. Yashodhara, la fille ainée de
Yogi Ramsuratkumar dans son purvashram

Reminiscences of a Daughter

as told by Smt. Yasodhara, the eldest purvashram
daughter of Yogi Ramsuratkumar
G.N. Dixit

 

Dans l'ordre des choses, pour un enfant, les parents sont primordiaux. On dit que, dans l'enfance, ils lui apparaissent comme rien de plus que ses propres extensions dans le temps et l'espace. Il n'est donc pas surprenant qu'ils commandent pour l'enfant la plus grande attention, le plus grand respect et l'obéissance. Dans son ordre des choses, il lui est plutôt difficile de laisser quelqu'un d'autre les remplacer. Puisque les réalités de la vie forcent souvent l'enfant à ce choix à l'enfant, étant un ingrédient essentiel de sa formation aux aspects éthiques de la vie, il appartient aux parents de l'aider à acquérir cette capacité. Et mes parents n'étaient pas différents, si ce n'est d'une certaine façon : leur idée pour la faire apparaître et le degré d'importance qu'ils leur était accordaient.

Cette différence était presque entièrement due à mon père. Ce n'était pas que ma mère fût laxiste ou complaisante à cet égard. C'était juste que mon père avait fait l'effort supplémentaire proverbial, ou plutôt beaucoup plus d'efforts supplémentaires à ce sujet-là. Puisque la vision du monde d'un enfant est principalement déterminée par ses sentiments, ses goûts et ses aversions, l'obliger à changer son ordre hiérarchique est très désagréable, sinon carrément douloureux. Et je me souviens que les nôtres étaient appelés à faire précisément cela un peu trop souvent pour le confort.

Et l'obéissance absolue au professeur qui pour lui était toujours un " gourou " et dont il attendait qu'il nous imbibe, était l'une de ces choses qui ne nous sont pas venues naturellement - dans le sens d'être à la hauteur de ses attentes - mais auxquelles il accordait le plus d'importance. Les exemples sont légion, mais celui qui a entraîné notre rencontre après un long intervalle a permis de cerner le problème avec une telle force qu'il se distingue encore avec une intensité intacte par-delà de toutes ces années.

Cela remonte à la période où Ram (surat, mon père) était parti si loin dans sa quête de Ram (son PÈRE) que l'on pourrait dire que nous l'avions presque perdu à LUI. La façon dont il avait changé, de père indulgent et passionné quand je jouais sur ses genoux, jusqu'à se perdre dans la folie de Dieu au moment où mon plus jeune frère nous avait rejoints, n'était pas perdue pour moi. Les changements importants qui se faisaient en lui, et par conséquent dans notre situation, n'étaient rien de moins que traumatiques et avaient pour effet de m'y rendre sensible par-delà mes années.

Avec la perspective actuelle que nous avons sur lui et avec le bénéfice des années qui sont derrière nous, il est bien sûr possible de voir l'état des choses dans lequel nous nous sommes trouvés alors d'un point de vue spirituel. Mais pour nous, l'angoisse de voir un avenir sombre peuplé d'incertitudes peu réjouissantes suite à la perte du seul soutien de la famille, aussi exalté soit-il, de voir une recherche autre que celle de pourvoir à la famille, cela était pour nous la seule réalité. Malgré les vaillants efforts de ma mère pour nous protéger de l'écrasement des événements, l'impact que cela avait sur nous était subtil et subliminal, c'est-à-dire sur moi et sur mes frères et sœurs. L'effet net de tout ce tourbillon a été, d'une part, d'être déchirée entre mon désir toujours plus intense d'avoir mon père avec moi comme les autres ont le leur, et ma frustration croissante devant son apparente improbabilité de l'autre.

Dans ces circonstances, l'apparition qu'il faisait de temps en temps à Dahiya, bien que généralement accueillie avec un sentiment d'incrédulité, s'est avérée être pour nous une occasion de nous réjouir. Une de ces occasions s'est produite en 1955 ou 56. Mon père était parti en visite quelque part dans le Sud. Un jour, j'ai vu ma mère affolée et d'autres membres de la famille parler à voix basse d'une mésaventure impliquant mon père. On a bientôt appris qu'un télégramme était arrivé, disant que mon père était à l'hôpital à la suite d'un accident de train quelque part à Madras (pour la plupart des gens du Bihar à l'époque, Madras signifiait simplement l'Inde du Sud). On m'a également dit que deux personnes de Dahiya y étaient déjà parties.

C'était un étrange mélange d'émotions contradictoires. Le sentiment habituel d'exaltation à la perspective d'avoir à nouveau notre père avec nous avait presque été dépassé par une anxiété aiguë concernant son état. Tout ce que je pouvais faire, c'était de prier pratiquement toutes les divinités locales - en lesquelles abonde Dahiya, comme le reste du Bihar rural, - avec autant de ferveur que pour un enfant de douze treize ans. Mon empressement pour l'avoir à Dahiya le plus tôt possible me donnait l'impression de ramper à la vitesse de l'escargot. Contrairement à ce qui se passe maintenant, c'était un long parcours à partir de Madras (Erode au Tamilnadu, pour être précise et comme je le sais maintenant). En regardant en arrière dans ces années crépusculaires qui contrastent avec l'époque actuelle de la communication presque instantanée, mes années d'enfance semblent appartenir à un âge sombre.

Et puis c'est arrivé ! "Le jour" est arrivé. J'étais à l'école. Notre classe était en session de l'après-midi. Après une longue période d'attention soutenue, alors que je me relaxais dans un bref moment de détente et dans le cadre de l'exercice, en bougeant les yeux, ils se sont attachés à quelque chose d'inhabituel. Une calèche devant le centre de santé rural du gouvernement ! C'était le taxi de ces jours-là. Et cela signifiait une chose et une seule : quelqu'un de l'extérieur était arrivé au village. Et il n'a pas fallu une seconde à mon imagination sautillante pour comprendre qui cela pouvait être : qui d'autre que mon père ? J'étais hors de la classe en un éclair, et à l'hôpital (comme le centre s'appelait alors) ! Mes yeux vagabonds l'ont vite repéré. Il était là, le pied gauche enveloppé de bandages. Trop absorbé par l'émotion pour dire quoi que ce soit, je restais là, le regardant avec des yeux qui ne cillaient pas, comme sous un charme. Le sortilège a été brisé quand j'ai entendu ses mots en hindi " Aa gaee Yasho " (donc tu es venue, Yasho). " Oui " a été ma réponse (en hindi, bien sûr, mais j'ai été complètement prise au dépourvu par ses paroles suivantes: " As-tu demandé la permission à ton professeur pour venir ici ? " Ainsi il était là, ne faisant aucun compromis sur la question de la dignité et de la considération que l'on doit avoir pour son professeur même dans un moment aussi poignant que celui-là. Comme j'ai répondu " non ", il m'a demandé de repartir et d'obtenir la permission du professeur. Le cœur lourd et les yeux humides, je suis retournée dans ma classe et j'ai obéi.

(Dans Saranagatam - Octobre 2017)

In a child's scheme of things the parents are paramount. lt is said that in infancy they appear to the infant as nothing more than his/her own extensions in time and space. Not surprisingly, then, they command for the child, the greatest attention, regard and obedience. It is rather difficult for him to let someone else supercede them in his order of things. Since the realities of life often force this choice on the child, being an essential ingredient of his training into the ethical aspects of life, it is left to the parents to help him acquire this ability. And my parents were no different except in one way-their idea of bringing this about and the degree of importance accorded to it.

This difference was due almost entirely to my father. It was not that my mother was in an] May lax or complacent in this respect. It was just that my father went the proverbial extra mile, or, rather many more extra miles, in this regard. Since a child's worldview is determined primarily by his feelings, his likes and dislikes, requiring him to make a change in his pecking order of them is highly unpalatable, if not downright painful. And I remember ours being called upon to do precisely that, a bit too frequently for comfort.

And absolute obedience to teacher, always 'guru' for him, which he expected us to imbibe, u/as one of those things that did not come naturally to us-in the sense of measuring up to his expectations - but to which he accorded the most importance. Instances are legion, but one involving our encounter after a long interval drove the point home with such force that it still stands out with its poignancy intact across all these years.

It dates back to the period when Ram(surat, my father) was gone so far in his quest of Ram(his FATHER) that we could be said to have almost lost him to HIM. The way he had changed from being an indulgent, doting father when I played in his lap, to being lost in God madness by the time my youngest sibling joined us was not lost on me. The momentous changes in him, and consequently in our circumstances, were, well, nothing less than traumatic and had had the effect of making me sensitive to them beyond my years.

With our present perspective on him and with the benefit of our years behind us, it is of course possible to see the state of affairs we found ourselves in, then, in a spiritual light. But to us, the agony of staring at a stark future of grim uncertainties, consequent upon losing the sole breadwinner of the family to, no matter how exalted, a pursuit other than that of providing for the family was the only reality for us. My mother's valiant efforts at shielding us from the crush of the events notwithstanding, the impact was in some subtle, subliminal way registering on us, that is, on me and my siblings. The net effect of all this swirl was my being torn between my ever intensifying longing to have my father with me like those of others' on one hand, and my growing frustration at the seeming unlikelihood of it, on the other.

 

 

 

 

 

 

Under the circumstances, his showing up in Dahiya once in a while, though usually greeted with a sense of disbelief, happened to be an occasion of rejoicing for us. It was one such occasion sometime in Nineteen fifty-five or fifty-six. My father had been away on a visit to somewhere in the South. One day I saw my mother looking distraught and others in the family talking in hushed tones about some mishap involving my father. Soon it became known that a telegram had arrived saying my father was in a hospital following a train accident somewhere in Madras (for most of the people in Bihar in those days Madras simply meant the whole of South India). I was also told that two persons from Dahiya had already left for the place.

It was a strange mix of conflicting emotions. The usual sense of elation at the prospect of having our father with us again had been almost overridden by acute anxiety regarding his condition. All I could do was to go around praying to almost every local deity-in which Dahiya, like the rest of rural Bihar, abounds- as fervently as u/as possible for a twelve- thirteen year old. My eagerness to have him in Dahiya as soon as possible made time feel like crawling at snail's pace. Unlike the way it is now, it was a pretty long haul from Madras' (Erode in Tamilnadu, to be precise, as I know it now). Looking back, Contrasted with the present era of almost instant communication in these twilight years of mine, my childhood years seem to belong to some dark age.

Then it happened! 'The day' arrived. I was in school. Our class was in session in an afternoon period. After a rather long stretch of sustained attention, as I was easing back into a brief spell of relaxation and as part of the exercise, moving my eyes around, they fastened onto something unusual. A horse carriage standing in front of the government rural health centre! It was the taxi car of those days. And it meant one and only one thing-someone from outside had arrived in the village. And it took my vaulting imagination no time to figure out who' it could be- who else but my father. I was out of the class in a flash, and into the hospital (as the centre was called then)! Soon my roving eyes had picked him out. There he was, with his left foot swathed in bandages. Too overcome with emotion to say anything, I stood there, looking at him with unblinking eyes, as if under a spell. The spell was broken when I heard his words in Hindi 'Aa gaee Yasho (so you have come, Yasho). 'Yes I have' was my response (in Hindi, of course. But I was caught completely off guard by his next words 'Have you taken your teacher's permission for coming here'. So, there he was, not compromising on the matter of the dignity of and regard for one's teacher even in a moment as poignant as that. On my saying 'no', he asked me to go back and get the teacher's permission. With a heavy heart and moist eyes I retraced my steps back to my classroom and did his bidding.


(in Saranagatam - October 2017)