Swami VIVEKANANDA

REINCARNATION (1)

 

Contribution au Metaphysical Magazine, New York, Mars 1895

(Traduction : Gaura Krishna)

 

 

"Toi et moi sommes passés par de nombreuses naissances; tu ne les connais pas, je les connais toutes. " Bhagavad-Gita.

 

Des nombreuses énigmes qui, sous tous les climats et en tous temps, ont troublé l'intellect de l'homme, la plus complexe est lui-même. Des myriades de mystères qui depuis l'aube de l'histoire ont appelé toutes ses énergies à se démener pour trouver une solution, la plus mystérieuse est sa propre nature. C'est à la fois l'énigme la plus insoluble et le problème de tous les problèmes. Comme point de départ et dépôt de tout ce que nous connaissons, ressentons et faisons, il n'y jamais eu et il n'y aura jamais d'époque où la propre nature de l'homme cessera de réclamer sa première et meilleure attention.

Bien qu'au travers de la faim de cette vérité, qui de toutes les autres a la relation la plus intime avec son existence même, bien qu'au travers d'un désir passionné pour un modèle intérieur par lequel mesurer l'univers extérieur, bien qu'au travers de la nécessité absolue et inhérente de trouver un point fixe dans un univers de changement, l'homme se soit quelquefois cramponné à des poignées de poussière pour (avoir de) l'or, et même quand il a été poussé par une voix supérieure à la raison ou à l'intellect, il ait souvent bien failli interpréter la véritable signification de la divinité au-dedans, il n'y a pourtant jamais eu d'époque depuis que la recherche a commencé où une race ou des individus n'ont pas tenu en l'air la lampe de la vérité.

Adoptant une vue partiale, superficielle et pleine de préjugés sur les milieux et des détails non essentiels, dégoûtés aussi quelquefois du manque de netteté de nombreuses écoles et de nombreuses sectes, et souvent, hélas, conduits à l'extrême opposé par les superstitions violentes d'une prêtrise organisée, les hommes n'ont pas manqué, particulièrement parmi les intellects avancés, dans les temps anciens et modernes, qui non seulement ont abandonné leur recherche avec désespoir, mais qui l'ont déclarée vaine et inutile. Les philosophes peuvent s'inquiéter et ricaner et les prêtres exercer leur commerce même à la pointe de l'épée, mais la vérité ne vient qu'à ceux qui adorent dans son temple et le font seulement par amour pour elle, sans peur et sans négoce.

La lumière parvient aux individus au travers des efforts conscients de leur intellect; elle parvient, bien que doucement, à la race entière au travers de pressions inconscientes. Les philosophes laissent voir les luttes volontaires des grands esprits; l'histoire révèle le processus silencieux d'infiltration par lequel la vérité est absorbée par les masses.

De toutes les théories sur lui-même qui ont été soutenues par l'homme, celle d'une entité âme, séparée du corps et immortelle, a été la plus largement répandue; et parmi ceux qui soutiennent la croyance en une telle âme, la majorité des personnes réfléchies a aussi toujours cru en sa préexistence.

A présent la plus grande partie de la race humaine, après avoir organisé la religion, y croit; et nombre des meilleurs penseurs des pays les plus favorisés, quoique nourris dans des religions de leur propre aveu hostiles à toute idée de préexistence de l'âme, y ont souscrit. L'Hindouisme et le Bouddhisme l'ont pour fondement; les classes éduquées chez les anciens Egyptiens y croyaient; les anciens Persans y étaient arrivés; les philosophes grecs en firent la pierre angulaire de leur philosophie; chez les Hébreux les Pharisiens l'avaient acceptée; et chez les Mahométans les soufis reconnaissent universellement sa vérité.

Il doit y avoir un environnement particulier qui génère et qui favorise certaines formes de croyance parmi les nations. Cela a demandé des siècles pour que les anciennes races parviennent à une idée sur une partie, même du corps, qui survit après la mort; cela a pris encore plus de siècles pour parvenir à une idée rationnelle sur ce quelque chose qui persiste et qui vit indépendamment du corps. Ce ne fut que lorsque l'idée a été atteinte d'une entité dont la relation avec le corps n'existait que pendant un temps, et seulement parmi ces nations qui sont arrivées à une telle conclusion, que l'inévitable question est apparue : Où ? D'où ?

Les anciens Hébreux n'ont jamais troublé leur sérénité en se questionnant sur l'âme. Avec eux la mort terminait tout. Karl Heckel dit justement : "Bien qu'il soit vrai que dans l'Ancien Testament, avant l'exil, les Hébreux distinguaient un principe de vie, différent du corps, qui est parfois appelé `Nephesh', ou `Ruakh', ou `Neshama', tous ces mots correspondent pourtant plutôt à l'idée de souffle qu'à celle d'esprit ou d'âme. Dans les écrits des Juifs palestiniens aussi, après l'exil, il n'est jamais fait mention d'une âme individuelle immortelle, mais toujours seulement d'un souffle de vie qui émane de Dieu et qui, après que le corps soit dissous, est réabsorbé dans le `Ruakh' Divin."

Les anciens Egyptiens et les Chaldéens avaient des croyances particulières sur l'âme qui leur étaient propres. Mais leurs idées sur cette partie vivante après la mort ne doit pas être confondue avec celles des anciens Hindous, des anciens Persans, des anciens Grecs ou de toute autre race aryenne. Il y avait, depuis les temps les plus reculés, une grande distinction en ce qui concerne la conception de l'âme entre les Aryas et les Mlechchhas qui ne parlaient pas le Sanskrit. Elle était extérieurement représentée par leur disposition des morts, les Mlechchhas qui pour la plupart tentaient de faire de leur mieux pour préserver les corps morts ou par les processus plus élaborés de momification, et les Aryas qui brûlaient généralement leurs morts.

Ici se trouve la clé d'un grand secret : le fait qu'aucune race, qu'elle soit égyptienne, assyrienne ou babylonienne, ne soit jamais parvenue à l'idée de l'âme en tant qu'entité séparée qui peut vivre indépendamment du corps, sans l'aide des Aryas, particulièrement des Hindous.

Quoique Hérodote affirme que les Egyptiens ont été les premiers à concevoir l'idée de l'immortalité de l'âme, et qu'il déclare comme doctrine des Egyptiens "que l'âme après la dissolution du corps entre encore et encore dans une créature qui vient à la vie, puis que l'âme erre dans tous les animaux de la terre et de la mer et dans tous les oiseaux et que finalement elle revient après trois mille ans dans un corps humain", les recherches modernes en égyptologie n'ont pourtant jusqu'à présent découvert aucune trace de métempsychose dans la religion populaire égyptienne. De l'autre côté, les recherches très récentes de Maspero, d'A. Erman et d'autres égyptologues éminents tendent à confirmer la supposition selon laquelle la doctrine de la palingenèse n'était pas chez elle avec les Egyptiens.

Chez les anciens Egyptiens l'âme n'était qu'un double, qui n'avait aucune individualité de son propre et qui n'était jamais capable de couper sa connexion avec le corps. Elle ne dure qu'aussi longtemps que dure le corps; et si par hasard le corps est détruit, l'âme du défunt doit souffrir une seconde mort et annihilation. Après la mort il était permis à l'âme d'errer librement dans le monde entier, mais elle retournait toujours le soir là où se trouvait le corps, toujours malheureuse, ayant toujours faim et soif, toujours extrêmement désireuse de jouir de la vie une fois de plus, et jamais capable de satisfaire le désir. Si une partie de son vieux corps était blessé, l'âme était aussi invariablement blessée dans sa partie correspondante. Et cette idée explique la sollicitude des anciens Egyptiens pour préserver leurs morts. Les déserts ont d'abord été choisis comme lieux de sépulture parce que la sécheresse de l'air ne permettait pas au corps de périr rapidement, accordant ainsi à l'âme disparue un long bail d'existence. Au cours du temps l'un des dieux a découvert le processus de fabrication des momies par lequel le dévot espérait préserver les corps morts de ses ancêtres pendant un temps pratiquement infinie, assurant ainsi l'immortalité à l'esprit disparu, si misérable qu'il ait pu être.

Le regret perpétuel du monde, dans lequel l'âme ne peut plus prendre d'intérêt, ne cessait jamais de torturer le défunt. " O, mon frère ", s'exclame le disparu, " ne te retiens pas de boire et de manger, ne refuse pas l'ivresse, l'amour, tout plaisir, ne te retiens pas de suivre ton désir nuit et jour; ne mets pas de peine en ton cœur car que sont les années de l'homme sur terre ? L'occident est un endroit de sommeil et d'ombres lourdes, un endroit dans lequel les habitants, une fois installés, sommeillent sous leur forme de momies, ne s'éveillant jamais pour voir leurs frères, ne reconnaissant jamais plus leurs pères et leurs mères, leurs cœurs oublieux de leurs femmes et de leurs enfants. L'eau vivante, que la terre donne à tous ceux qui demeurent dessus, est pour moi stagnante et morte; cette eau coule pour tous ceux qui sont sur la terre, alors qu'elle n'est pour moi que de la putréfaction liquide, cette eau qui est mienne. Depuis que je suis venu dans cette vallée funèbre je ne sais pas où je suis ni ce que je suis. Donne-moi de l'eau courante à boire … que je sois mis au bord de l'eau avec mon visage vers le Nord, que la brise me caresse et que mon coeur soit rafraîchi de sa peine.* "

Chez les Chaldéens aussi, bien qu'ils ne spéculaient pas autant que les Egyptiens sur la condition de l'âme après la mort, l'âme est encore un double et elle est attachée à son sépulcre. Ils ne pouvaient pas concevoir un état sans ce corps physique, et il attendaient une résurrection du corps; et bien que la déesse Ishtar, après de grands dangers et de grandes aventures, ait donné la résurrection à son berger de mari, fils d'Ea et de Damkina, " les dévots les plus pieux plaidèrent en vain de temple en temple pour la résurrection de leurs amis morts. "

Nous voyons ainsi que les anciens Egyptiens ou que les Chaldéens dissociaient entièrement l'idée de l'âme d'avec le corps du défunt ou d'avec le sépulcre. L'état d'existence terrestre était après tout meilleure, et les disparus désirent toujours ardemment avoir une chance de plus de le renouveler, et les vivants espèrent avec ferveur les aider à prolonger l'existence du double malheureux et font du mieux qu'ils peuvent pour les aider.

Cela n'est pas le terreau d'où pouvait jaillir une connaissance plus élevée de l'âme. En premier lieu elle est grossièrement matérialiste, et alors même c'en est une de terreur et d'agonie. Effrayés par des pouvoirs du mal pratiquement innombrables, et sans efforts désespérés et angoissés pour les éviter, les âmes des vivants, comme leurs idées sur les âmes des disparus, erraient partout dans le monde quoiqu'elles ne pussent jamais aller au-delà du sépulcre et du corps qui s'effritait.

Nous devons maintenant, pour la source d'idées plus élevées de l'âme, nous tourner vers une autre race, dont le Dieu était un Être tout miséricordieux, tout pénétrant qui Se manifeste au travers de divers Devas brillants, favorables et secourables, la première des races humaine à s'adresser à son Dieu comme à un Père : "Oh, prends-moi par les mains comme un père prend son cher fils"; avec lequel la vie était un espoir et non un désespoir, dont la religion ne consistait pas en gémissements s'échappant des lèvres d'un homme agonisant pendant les intervalles d'une vie d'excitation folle, mais dont les idées viennent à nous parfumées de l'arôme du champ et des forêts; dont les prières de louange - spontanées, libres, joyeuses, comme les chansons qui jaillissent des poitrines des oiseaux quand ils saluent ce monde magnifique illuminé par les premiers rayons du seigneur du jour - descendent vers nous, même maintenant, au travers de la perspective de quatre-vingt siècles d'appels frais des cieux; nous nous tournons vers les anciens Aryas.

"Mets-moi dans ce monde sans mort, sans décadence, où se trouve la lumière des cieux et où brille l'éclat éternel"; "Rends moi immortel dans ce royaume où vit le fils du Roi Vishvasvan, où se trouve le temple secret des cieux"; "Rends-moi immortel dans ce royaume où ils se meuvent comme ils (s'inscrivent?)"; "Dans la troisième sphère des cieux les plus secrets, où les mondes sont pleins de lumière, rends-moi immortel dans ce royaume de félicité" - ce sont les prières des Aryens dans leur enregistrement le plus ancien, le Rig-veda Samhita.

Nous voyons immédiatement tout un monde de différence entre les idéaux Mlechchha et les idéaux Aryens. Pour l'un ce corps et ce monde sont tout ce qu'il y a de réel, et tout ce qu'il y a de désirable. Un petit fluide de vie, qui s'envole du corps à la mort pour ressentir torture et agonie à la perte des plaisirs des sens, peut, espèrent-ils naïvement, être ramené si le corps est soigneusement préservé; et ainsi un cadavre est-il devenu un objet de soin plus que l'homme vivant. L'autre a trouvé que ce qui quittait le corps était l'homme réel; et que lorsqu'il était séparé du corps, il jouissait d'une condition de félicité supérieure à celle dont il avait jamais joui quand il était dans le corps. Et ils s'empressèrent d'annihiler le corps corrompu en le brûlant.

Nous trouvons ici le germe d'où pourrait sortir une véritable idée de l'âme. C'est ici - où l'homme véritable n'était pas le corps, mais l'âme, où toutes les idées de connexion inséparable entre l'homme véritable et le corps étaient complètement absentes - qu'une idée noble de la liberté de l'âme pouvait apparaître. Et c'est lorsque les Aryens pénétrèrent au-delà même du vêtement brillant du corps avec lequel l'âme disparue était enveloppée, et qu'ils trouvèrent sa véritable nature d'un principe-unité, sans forme, individuel, que la question est inévitablement apparue : D'où ?

C'est en Inde et chez les Aryas que la doctrine de la préexistence, de l'immortalité et de l'individualité de l'âme est d'abord apparue. Des recherches récentes en Egypte n'ont pas réussi à montrer quelque trace que ce soit de doctrines d'une âme indépendante et individuelle existant avant et après la phase d'existence terrestre. Quelques-uns des mystères étaient sans doute en possession de cette idée, mais ils ont été retracés en Inde.

"Je suis convaincu", dit Karl Heckel, "que plus nous entrons profondément dans l'étude de la religion égyptienne et plus il est clair que la doctrine de la métempsychose était entièrement étrangère à la religion populaire égyptienne; et même que ce qu'en possédaient de simples mystères n'était pas inhérent aux enseignements d'Osiris, mais dérivait de sources Hindoues. "

Nous voyons plus tard les Juifs d'Alexandrie imprégnés de la doctrine d'une âme individuelle, et les Pharisiens du temps de Jésus, comme il a déjà été établi, avaient non seulement foi en une âme individuelle, mais ils croyaient à son errance à travers des corps divers; et il est ainsi facile de trouver comment Christ a été reconnu pour être une incarnation d'un ancien prophète, et Jésus affirme lui-même directement que Jean le Baptiste était le Prophète Elie qui était revenu. "Si vous recevez cela, c'est Elie, qui devait revenir." (Matt. XI.14).

Chez les Hébreux, les idées d'une âme et de son individualité étaient à l'évidence venues au travers de l'enseignement mystique plus élevé des Egyptiens, qui à leur tour le tiraient de l'Inde. Et le fait qu'il a du venir par Alexandrie est significatif, comme les enregistrements bouddhistes montrent clairement une activité missionnaire bouddhiste à Alexandrie et en Asie Mineure.

Il est dit que Pythagore a été le premier grec à enseigner la doctrine de la palingenèse chez les Hellènes. En tant que race aryenne, qui brûlait déjà ses morts et qui croyaient à la doctrine d'une âme individuelle, il était facile pour les Grecs d'accepter la doctrine de la réincarnation à travers l'enseignement pythagoricien. Selon Apuleius, Pythagore était venu en Inde où il avait été instruit par les Brahmines.

Jusqu'ici nous avons appris que partout où l'âme était tenue pour être un individu, l'homme véritable, et non seulement pour une partie vivifiante du corps, la doctrine de sa préexistence était inévitablement arrivée, et que, extérieurement, ces nations qui croyaient dans l'individualité indépendante de l'âme l'avaient pratiquement toujours fait connaître en brûlant le corps des disparus. Bien que l'une des anciennes races aryennes, les Persans, aient assez tôt et sans influence sémitique développé une méthode particulière de disposer les corps des morts, le nom même par lequel ils appelaient leurs "Tours de silence" vient de la racine Dah, brûler.

En bref, les races qui n'ont pas prêté beaucoup d'attention à l'analyse de leur propre nature ne sont jamais allées au-delà du corps matériel vu comme leur tout en tout, et même lorsqu'ils ont été conduits par une lumière plus haute à pénétrer au-delà, ils en sont seulement venus à la conclusion que d'une manière ou d'une autre, après un certain temps, ce corps devenait incorruptible.

De l'autre coté, cette race qui a dépensé la meilleure partie de ses énergies à l'investigation dans la nature de l'homme en tant qu'être pensant - les Indo-aryens - a bientôt découvert qu'au-delà de ce corps, au-delà même du corps brillant que désiraient ardemment leurs ancêtres, se trouvait l'homme réel, le principe, l'individu qui se vêt de ce corps puis qui le rejette quand il est usé. Un tel principe a-t-il été créé ? Si création veut dire quelque chose qui apparaît à partir de rien, leur réponse est un net " Non ". Cette âme n'a pas de naissance ni de mort, elle est un composé ou une combinaison mais un individu indépendant, et en tant que telle elle ne peut ni être créée ni être détruite. Elle ne fait que voyager à travers différents états.

La question apparaît naturellement : Où était-elle tout ce temps? Les philosophes hindous disent : " Elle passait par différents corps dans le sens physique ou, en réalité et métaphysiquement parlant, elle passait par différents plans mentaux. "

Y a-t-il des preuves en dehors de l'enseignement des Vedas sur lesquelles se base la doctrine de la réincarnation fondée par les philosophes hindous ? Il y en a, et nous espérons monter plus tard qu'il y a des bases qui sont aussi valides pour elle que pour toute autre doctrine acceptée universellement. Mais nous allons d'abord voir ce que quelques-uns des plus grands parmi les penseurs européens modernes ont pensé de la réincarnation.

I. H. Fichte, parlant de l'immortalité de l'âme, dit :

"Il est vrai qu'il y a une analogie de nature que l'on peut apporter pour réfuter la continuation. C'est l'argument bien connu selon lequel tout ce qui a un commencement dans le temps doit aussi périr à un certain moment du temps; de là, que l'existence passée de l'âme qui est avancée implique nécessairement sa préexistence. C'est une conclusion juste, mais au lieu d'être une objection, c'est plutôt un argument additionnel pour sa continuation. A vrai dire, on doit seulement comprendre la complète signification de l'axiome métaphysico-physiologique selon lequel rien ne peut en réalité être créé ou annihilé, reconnaître que l'âme doit avoir existé avant de devenir visible dans un corps physique. "

Schopenhauer, dans son livre "Die Welt als Wille und Vorstellung", dit en parlant de la palingenèse :

"Ce que le sommeil est à l'individu, la mort l'est à la 'volonté'. Elle ne supporterait pas d'endurer les mêmes actions et les mêmes souffrances pendant toute une éternité sans véritable bénéfice, si la mémoire et l'individualité y demeuraient. Elle les secoue, et c'est le Léthé (sommeil de la mort), et par le sommeil de la mort elle réapparaît équipée d'une autre intellect en tant qu'être nouveau; un jour nouveau tente de nouveaux rivages. Ces nouvelles naissances constantes constituent alors la succession des rêves de la vie d'une volonté qui est en elle-même indestructible, jusqu'à ce qu'instruite et améliorée par tant de connaissance diverse successive de la sorte sous une forme constamment nouvelle, elle s'abolisse et s'abroge elle-même… On ne doit pas négliger le fait que même des bases empiriques soutiennent une palingenèse de ce genre. Il existe en effet une relation entre la naissance des êtres qui apparaissent nouvellement et la mort de ceux qui sont usés. Elle se montre dans la grande fertilité de la race humaine qui apparaît comme une conséquence de maladies dévastatrices. Lorsqu'au quatorzième siècle la Mort Noire a dépeuplé la plupart du Vieux Monde, une fertilité tout à fait normale est apparue dans la race humaine, et la naissance de jumeaux était très fréquente. La situation était aussi remarquable : aucun des enfants nés à cette époque n'a obtenu le nombre complet de dents; ainsi la nature, s'exerçant à l'extrême, était mesquine dans les détails. Cela est relaté par F. Schnurrer dans sa Chronik der Seuchen, 1825. Casper aussi, dans son Ueber die Wahrscheinliche Lebensdauer des Menschen, 1835, confirme le principe suivant lequel le nombre de naissances dans une population donnée a la plus grande influence sur la durée de vie et sur la longévité qu'elle connaît, comme cela marche toujours du même pas que la mortalité; de telle sorte que toujours et partout les morts et les naissances augmentent en proportion semblable, ce qu'il met au-delà du doute par une accumulation d'évidences rassemblées à partir de nombreux pays et de leur diverses provinces. Et il est pourtant impossible qu'il puisse y avoir une relation physique, causale, entre ma mort prématurée et la fertilité d'un mariage avec lequel je n'ai rien à voir, ou inversement. Ainsi ici le métaphysique apparaît indéniable, et d'une manière prodigieuse, comme base immédiate de l'explication du physique. Chaque être nouveau-né arrive dans une nouvelle existence frais et joyeux, et il en jouit comme d'un libre cadeau, mais il n'y a rien et il ne peut rien y avoir de donné librement. Sa fraîche existence se paie par la vieillesse et la mort d'une existence usée qui a péri, mais qui contenait la graine indestructible d'où l'existence nouvelle est apparue; ils sont un être. "

Le grand philosophe anglais Hume, bien qu'il fut nihiliste, dit dans son essai sceptique sur l'immortalité : "La métempsychose est donc l'unique système de la sorte que la philosophie puisse écouter. " Le philosophe Lessing, avec une profonde finesse poétique, demande : "Cette hypothèse est-elle aussi risible simplement parce qu'elle est la plus ancienne, parce que l'entendement humain, avant que les sophismes des écoles ne l'aient dissipée et débilitée, la rencontrait immédiatement ? … Pourquoi ne devrais-je pas revenir en arrière aussi souvent que je suis à même d'acquérir une connaissance nouvelle, une expérience nouvelle ? Est-ce que je conserve tant d'une (seule) fois pour qu'il n'y ait rien pour récompenser le trouble d'un retour ? "

Les arguments pour et contre la doctrine d'une âme préexistante au travers de nombreuses vies ont été nombreuses, et quelques uns des plus grands penseurs de toutes les époques ont relevé le gant pour la défendre; et pour ce que nous pouvons voir, s'il y une âme individuelle, qu'elle existait avant semble inévitable. Si l'âme n'est pas un individu mais une combinaison de "Skandhas" (notions), comme l'affirme les Madhyamikas chez les bouddhistes, ils trouvent pourtant la préexistence absolument nécessaire pour expliquer leur point de vue.

L'argument qui démontre l'impossibilité d'une existence infinie qui commence dans le temps est irréfutable, bien que des tentatives aient été faites pour l'écarter en en appelant à l'omnipotence de Dieu, aussi contraire à la raison que cela puisse être. Nous sommes désolé de voir cet argument tout à fait fallacieux venir de quelques unes des personnes les plus réfléchies.

En premier lieu, Dieu étant l'universel et la cause commune de tous les phénomènes, la question était de trouver les causes naturelles de certains phénomènes dans l'âme humaine, et la théorie du Deus ex machina est donc tout à fait hors de propos. Elle équivaut à rien de moins qu'à un aveu d'ignorance. Nous pouvons donner cette réponse à toute question posée dans toute branche de la connaissance humaine et stopper toute investigation et donc stopper entièrement la connaissance.

Deuxièmement, cet appel constant à l'omnipotence de Dieu n'est qu'un puzzle de mots. La cause, en tant que cause, ne peut nous être connue que comme suffisante pour l'effet. En tant que telle, nous n'avons pas plus d'idée d'un effet infini que d'une cause omnipotente. De plus, toutes nos idées de Dieu ne sont que limitées; même l'idée de cause limite notre idée de Dieu. Troisièmement, même en admettant le point de vue, nous ne sommes pas portés à admettre de théories aussi absurdes que " quelque chose qui sort de rien ", ou que " l'Infini qui commence dans le temps ", tant que nous pouvons donner une meilleure explication.

Un argument soi-disant fort est apporté contre l'idée de la préexistence en affirmant que la majorité de l'humanité n'en est pas consciente. Pour prouver la validité de cet argument, la partie qui l'offre doit prouver que la totalité de l'âme de l'homme est liée à la faculté de mémoire. Si la mémoire était le test de l'existence, alors toute cette partie de notre vie qui n'est pas en elle maintenant doit être non existante, et toute personne qui se trouve dans le coma ou qui perd la mémoire d'une autre manière doit aussi être non existante.

Les prémisses d'où l'inférence est tirée d'une existence antérieure, et cela aussi sur le plan de l'action consciente, telles qu'alléguées par les philosophes hindous, sont principalement celles-ci :

D'abord, comment expliquer ce monde d'inégalités ? Voici un enfant né dans une province d'un Dieu juste et miséricordieux, qui contribue en toute circonstance à devenir un membre bon et utile de la race humaine, et peut-être au même moment et dans la même ville naît un enfant sous des circonstances telles que chacune est contre le fait qu'il devienne bon. Nous voyons des enfants nés pour souffrir, peut-être toute leur vie, et cela n'est en rien leur faute. Pourquoi devrait-il en être ainsi? Quelle est la cause? De quelle ignorance cela est-il le résultat? Si ce n'est pas à cause des siennes, pourquoi devrait-il souffrir des actions de ses parents?

Il est bien mieux d'avouer son ignorance que d'essayer d'esquiver la question par les attraits de plaisirs futurs en proportion du mal qui est ici, ou en énonçant des " mystères ". Non seulement une souffrance imméritée qui nous est imposée par quelque agent que ce soit est immorale - pour ne pas dire injuste - mais même la théorie d'une future perfection ne tient pas debout.

Combien de ceux qui sont nés malheureusement luttent pour avoir une meilleure vie, et combien plus succombent dans les circonstances sous lesquelles ils sont placés ? Est-ce que ceux qui deviennent pires et plus mauvais en étant forcés de naître dans de mauvaises circonstances doivent être récompensés à l'avenir pour la méchanceté de leur vie ? Dans ce cas plus l'homme est mauvais ici et meilleurs seront ses mérites par la suite.

Il n'y a pas d'autre moyen de justifier la gloire et la liberté de l'âme humaine et de réconcilier les inégalités et les horreurs de ce monde qu'en plaçant tout le fardeau sur la cause légitime : nos propres actions indépendantes ou Karma. Pas seulement, mais toute théorie de la création de l'âme à partir de rien conduit inévitablement au fatalisme et à la prédétermination, et au lieu d'un Père Miséricordieux, elle met devant nous un Dieu à adorer hideux, cruel et toujours en colère. Et pour autant que le pouvoir de la religion pour le bien ou le mal soit concerné, cette théorie d'une âme créée, conduisant à ses corollaires du fatalisme et de la prédestination, est responsable de l'idée horrible qui prévaut chez des chrétiens et des mahométans selon laquelle les païens sont les victimes légitimes de leurs épées, et de toutes les horreurs qui ont suivi et qui suivent encore.

Mais un argument que les philosophes de l'école Nyaya ont toujours avancé en faveur de la réincarnation, et qui nous semble concluant, est celui-ci : nos expériences ne peuvent pas être annihilées. Nos actions (Karma) bien qu'elle semblent disparaître, demeurent pourtant non perçues (Adrishta), et elles réapparaissent encore dans leur effet en tant que tendances (Pravrittis). Même les petits bébés viennent avec certaines tendances : la peur de la mort, par exemple.

Maintenant si une tendance est le résultat d'actions répétées, les tendances avec lesquelles nous sommes nés doivent aussi s'expliquer sur cette base. Nous n'avons évidemment pas pu les obtenir dans cette vie; aussi devons-nous rechercher leur genèse dans le passé. Il est aussi évident maintenant que certaines de nos tendances sont les effets des efforts conscients particuliers à l'homme; et s'il est vrai que nous sommes nés avec de telles tendances, il s'ensuit rigoureusement que leurs causes étaient de conscients efforts dans le passé, c'est-à-dire que nous devons avoir été sur le même plan mental que nous appelons le plan humain, avant cette présente vie.

Pour autant que l'on puisse expliquer les tendances de la vie présentes par des efforts conscients passés, les réincarnationistes de l'Inde et la dernière école des évolutionnistes sont d'accord; la seule différence est que les Hindous, en tant que spiritualistes, l'explique par les efforts constants des âmes individuelles, et l'école matérialiste des évolutionnistes par une transmission physique héréditaire. Les écoles qui soutiennent la théorie de la création à partir de rien sont entièrement en dehors du jeu.

La question doit être débattue entre les réincarnationistes qui soutiennent que toutes les expériences sont emmagasinées comme tendances dans le sujet des expériences, l'âme individuelle, et les matérialistes qui soutiennent que le cerveau est le sujet de toutes les actions et qui soutiennent la théorie de la transmission par les cellules.

C'est ainsi que la doctrine de la réincarnation revêt pour notre esprit une importance infinie, car le combat entre réincarnation et pure transmission cellulaire est, en réalité, le combat entre spiritualisme et matérialisme. Si la transmission cellulaire est l'explication entièrement suffisante, le matérialisme est inévitable, et il n'y a aucune nécessité à la théorie d'une âme. Si çà n'est pas une explication suffisante, la théorie d'une âme individuelle qui apporte dans cette vie les expériences du passé est absolument vraie. Il n'y a pas d'échappatoire à l'alternative : réincarnation ou matérialisme. Lequel allons-nous accepter ?

 

* Ce texte a été traduit en allemand par by Brugsch, Die Egyptische Graberwelt, pp. 39, 40, et en français par Maspero, Etudes Egyptiennes, vol. I., pp. 181-90.

(1) Swami Vivekananda se place ici du pur point de vue de la logique. Il n'est pas parlé ici des preuves données par des âmes réincarnées qui se rappellent de leur vie passée et qui le prouvent.