YOGA VASISHTHA
MAHARAMAYANA

 

(Traduction française : Gaura Krishna)

 

LIVRE III

UTPATTI KHANDA

 

CHAPITRE 1

CAUSES DE L'ESCLAVAGE DU MONDE

 

 

SECTION I

BHUMIKA

 

1.- C'est à la fois au moyen des mots et au moyen des lumières que celui qui connaît Brahman perçoit l'esprit de Brahman apparaissant en lui-même comme en un rêve. Et il le connait aussi en tant que tel, celui qui le comprend selon le sens du texte sacré. 'Qu'est ceci, c'est le soi.'

2.- Ce passage montre en bref que le monde visible réside dans le sein vide de Brahman à sa création, on doit maintenant connaître en longueur ce qu'est la création, d'où elle prend naissance et enfin en quoi elle s'éteint.

3.- Ecoute-moi, intelligent Rama, t'expliquer maintenant toutes les choses selon la meilleure connaissance que j'en ai, et selon leur nature et leur substance dans l'ordre de création.

4.- Celui qui a conscience de lui-même comme d'un être spirituel et intelligent considère le monde qui passe come un (svapnam) rêve dans le sommeil ; et cette comparaison rêveuse du monde transitoire s'applique également à notre connaissance de l'ego et du non-ego.

5.- Après le livre qui décrit la conduite de ceux qui cherchent la libération suit le livre de l'évolution (utpatti) que je vais maintenant t'exposer.

 

 

SECTION II

ESCLAVAGE DU MONDE

 

6.- L'esclavage consiste en notre croyance en la réalité du monde visible. Aussi notre délivrance dépend-elle de la négation des phénomènes. Ecoute moi maintenant te dire comment se débarrasser du visible.

7.- Quiconque est né dans ce monde continue de progresser jusqu'à ce qu'enfin il obtienne sa libération finale, ou il monte au ciel ou tombe en enfer.

8.- C'et pourquoi, pour ta compréhension, je vais t'exposer toute ce qui se rapporte à la production et à la continuation des choses, et leurs états antérieurs comme ils étaient.

9.- Ecoute-moi, Rama, te donner maintenant un résumé de ce livre, et je l'agrandirai par la suite, comme tu peux souhaiter en savoir plus.

 

SECTION III

PHASES DE L'ESPRIT

10.- Tout ce qui apparaît, mobile ou immobile, dans ce monde, sache que ce sont des apparitions dans un rêve dans un état de sommeil profond (susupti), qui disparaît à la fin du Kalpa.

11.- Il reste ensuite une chose sans nom et non développée, dans un état d'abysse profond, sombre et humide, sans aucune lumière ni épaisse étendue au-dessus.

12.- Cette grande existence en soi se voit par la suite attribuer les titres de Réalité (rita), Soi (atman), Suprême (param), Brahman, Vérité (satyam) etc. par les sages comme des expressions pour le Grand Esprit (mahatma) pour l'usage populaire.

13.- Cet esprit identique à lui-même se montre ensuite sous une autre forme qui et appelée Jivatman (âme individuelle), et vient ensuite à être connu dans le sens limité de vie.

14.- Ce principe vivant inerte devient, selon son sens littéral, l'esprit qui se meut (akulatma) qui par la suite, avec son pouvoir de pensée (manana) devient le Mental, et enfin l'âme incarnée (bhutatma).

15.- Ainsi le mental est-il produit et transformé, de la nature tranquille du Grand Esprit Suprême, à un état d'agitation (asthirakara) comme celui de la houle se soulevant dans l'océan.

16.- Le mental se développe bientôt comme un pouvoir auto-volontaire qui exerce ses désirs à tous moments, ce par quoi cette vaste scène magique s'expose à notre vue. Cette scène est figurée comme Virajmurti, ou manifestation des désirs de la volonté du Mental divin, et représentée comme la progéniture de Brahma.

17.- Tout comme le mot 'bracelet d'or' ne signifie rien d'autre qu'un bracelet qui est fait d'or, de même le sens du mot 'monde' n'est pas différent de sa source : la volonté divine.

18.- Encore, comme le mot 'or' porte l'idée de la substance de laquelle le bracelet est fait, de même le mot 'Brahman' porte le sens d'immensité qui contient le monde en elle, mais le mot 'monde' ne contient aucune idée de Brahman ni le mot 'bracelet' celui de l'or. (La substance contient la forme mais la forme ne contient pas la substance.

19.- L'irréalité du monde apparaît comme une réalité, tout comme la chaleur du soleil présente le mirage irréel dans les sables mouvants du désert comme des vagues réelles de la mer.

20.- C'est cette idée fantasque que les érudits en toutes choses désignent comme ignorance (avidya), nature (samsriti), esclavage (bandha), illusion (maya), erreur (moha), et obscurité (tamas).

 

SECTION IV

NATURE DE L'ESCALAVAGE

 

21.- Ecoute-moi maintenant te parler, ô Rama au visage comme la lune, de la nature de cet esclavage, ce par quoi tu pourras connaitre le mode et la manière de nous libérer de lui.

22.- La relation intime entre le spectateur et le spectacle est appelé son esclavage au spectacle, parce que le mental de l'observateur est rapidement lié à l'objet de sa vision. C'est donc l'absence d'objets visibles au miroir du mental qui est le seul moyen de sa libération.

23.- La connaissance du monde, de l'ego et du non-ego -comme existences séparées) est dite être la vue erronée de l'âme, et il ne peut y avoir de libération aussi longtemps que l'on peine sous cette bévue de bheda-jnana ou connaissance d'individualités.

24.- Dire que l'atman n'est ni ceci ni cela n'est que fausse logomachie qui ne peut s'arrêter. La discrimination des alternatifs (choix : ceci ou cela) ne sert qu'à augmenter l'ardeur pour les choses visibles.

25.- Ce ne peut être obtenu par les sophistes en tranchant la logique, ni par le pèlerinage ou des rituels, pas plus que par la croyance dans la réalité du monde phénoménal.

26.- Il est difficile d'éviter la vue du monde phénoménal et de réprimer notre ardeur pour lui. Mais il est certain que les choses visibles ne peuvent pas nous conduire à la Réalité ni le Réel nous fourvoyer dans l'irréel.

27.- Partout om existe l'esprit invisible, inconcevable et intelligent, celui qui voit voit la beauté visible de Dieu qui brille même au milieu des atomes.

28.- Le monde phénoménal naît à partir de Lui, ces gens ignorants qui se détournent de Lui pour en adorer d'autres ressemblent à des fous qui délaissent le riz pour se nourrir de gruau.

29.- Bien que ce monde visible soit apparent à la vue, il n'est, ô Rama, qu'une ombre de cet Être qui demeure dans l'atome le plus petit comme dans le miroir du mental qui reçoit l'image des choses les plus vastes comme des choses les plus minuscules.

30.- L'esprit est réfléchi en toute chose comme un visage dans le miroir, et il brille également dans les rochers et dans les mers, sur la terre et sur l'eau, comme il le fait dans le miroir du mental.

31.- Le monde visible est la scène d'incessants malheurs, de naissances, de déclin et de mort, et les états de veille, de rêve et de sommeil profond présentent tour à tour, pour notre illusion, les formes grossières, subtiles et évanescentes des choses.

32.- Je m'asseois ici dans ma manière méditative (anirudha), ayant balayé les impressions des choses visibles de mon mental, mais ma méditation est perturbée par la récurrence de mon souvenir des choses visibles : et ceci est la cause des transmigrations sans fin de l'atman.

33.- Il est difficile d'avoir un samadhi fixe (nirudha), inaltérable (nirvikalpa) lorsque la vue du monde visible est présente devant notre vision corporelle et mentale. Même le quatrième état du samadhi insensible appelé turiya, dans l'état de sommeil profond (susupti), est bientôt suivi de notre intelligence consciente de soi et extérieure.

34.- En se levant de cet état de samadhi, on se voit comme tiré du sommeil profond pour voir le monde plein de tous ses malheurs et imperfections qui s'ouvrent largement devant soi.

35.- Alors, ô Rama, quel est le bien de cette béatitude passagère que l'on atteint par méditation (dhyana), quand on doit retomber à ce sens des malheurs auxquels le monde est sujet comme une vallée de larmes.

36.- Mais si l'on peut atteindre un état d'abstraction inaltérable de ses pensées de tous les objets du monde, comme l'on a en état de sommeil profond (susupti), on dit alors que l'on a atteint le lus haut degré de sainteté sur terre.

37.- Nul n'a jamais gagné quoi que ce soit de réalité dans la scène des vanités irréelles, car à chaque fois que ses pensées viennent en contact avec une chose extérieure, il la trouve inséparable des imperfections de l'existence.

38.- Si quelqu'un fixait sa vue sur une pierre pendant un moment, en la retirant de force des objets visibles, il serait sur d'être emporté par la suite par les choses visibles qui pressent sur sa vue.

39.- Il est bien connu de tous qu'une méditation inébranlable, ayant même la fermeté du roc, ne peut pas durer dans la pratique du yogi, du fait de ses penchants mondains.

40.- Même le nirudha (ferme méditation) qui a atteint la fixité d'un roc ne peut pas avancer d'un pas vers l'atteinte de cette paix qui n'a pas de limites.

41.- Ainsi la vue des phénomènes étant tout à fait irrépressible, c'est une supposition stupide que de croire qu'elle peut être supprimée par des pratique de jap-tap ou des prières, des austérités ou autres actions de dévotion.

42.- L'idée des phénomènes (drisyadhi) et aussi inhérente au mental du spectateur du monde visible que les graines de la fleur de lotus sont contenues dans les cellules intérieures du péricarpe.

43.- L'idée du monde phénoménal (drisyadhi) repose aussi cachée dans le mental des spectateurs du monde extérieur que l'est la saveur innée et l'humidité des fruits, l'huile des graines de sésame et la douce senteur innée des fleurs.

44.- Comme le parfum du camphre et autres substances odoriférantes sont inhérentes à leur nature, de même la réflexion du monde visible demeure dans le sein de l'intellect.

45.- De même que nos rêves et nos désirs naissent et s'affaissent d'eux-mêmes sous la région de notre intellect, les notions des choses reviennent toujours à notre mental à partir des idées originales qu'on en a, empreintes dans le siège des choses visibles (le mental).

46.- L'apparition mentale du monde visible illusionne son spectateur de la même manière, de même que l'apparence visuelle d'un spectre ou d'un lutin égare un enfant.

47.- L'idée du monde visible se développe petit à petit, comme le germe de la graine pousse avec le temps et s'étend par la suite sous la forme d'une plante.

48.- Comme les microbes minuscules et les animalcules qui sont contenus au sein des fruits et des embryons des animaux se développent jusqu'à devenir par la suite de magnifiques formes, de même la graine de ce monde qui repose caché dans le Mental Divin s'épanouit en les formes merveilleuses des phénomènes visibles de la nature.