YOGA VASISHTHA
MAHARAMAYANA

 

LIVRE III

 

Chapitre IV

 

SECTION 2

(La nature du mental)

 

36.- Rama s'adressa alors au plus éloquent des sages, Vasishtha, avec ses paroles douces, sur le sujet sur lequel ils enquêtaient. Il dit :

37.- " Dis-moi clairement, vénérable, la forme du mental qui se développe en toutes les choses de l'univers, comme si elles en étaient des ramifications."

38.- Vasishtha répondit : Rama ! Il n'y a aucune forme de mental que ce soit qui puisse être vue par quiconque. Il n'a rien de substantiel à part son nom qui est celui de la vacuité sans forme et immuable.

39.- Le mental en tant qu'entité n'est pas situé dans le corps extérieur et il n'est pas non plus confiné dans la cavité du coeur intérieur ou du cerveau. Mais sache, O Rama, qu'il est situé partout comme vide englobant tout.

40.- Le monde est produit à partir de lui, il ressemble aux eaux du mirage. Il se manifeste sous les formes de ses pensées fugaces qui sont aussi fausses que l'apparence de lunes secondaires dans les vapeurs.

41.- On croit généralement que le principe pensant est quelque chose d'intermédiaire entre le positif et le négatif, ou entre le réel et l'irréel, c'est ainsi que tu dois le voir et comme rien d'autre.

42.- Ce qui est le représentant de tous les objets est appelé mental : il n'y a rien à côté à quoi l'on peut appliquer le terme mental.

43.- Sache que la volition est la même chose que le mental, qui n'est en rien différente de la volonté, tout comme la fluidité est identique à l'eau, et de la même manière qu'il n'y a aucune différence entre l'air et son mouvement dans le vent.

44.- Car partout où il y a une volonté, il y a aussi cet attribut du mental et personne n'a jamais pris la volonté et le mental pour des choses différentes.

45.- La représentation de tout objet, qu'il soit réel ou irréel, est le mental, et on doit le connaître comme Brahma le grand père de tout.

46.- L'âme incorporelle dans le corps est appelée le mental, comme ayant la connaissance sensorielle ou des idées continuelles du monde corporel en lui-même.

47.- Ceux qui sont instruits ont donné les noms nombreux d'ignorance, d'intellect, de mental, d'esclavage, de péché et de ténèbres à l'apparence visible de la création.

48.- Le mental n'a pas d'autre image que celle du monde visible qui, je le répète, n'est en rien une nouvelle création, mais une réflexion du mental.

49.- Le monde visible est situé dans un atome du grand mental de la même manière que le germe de la plante de lotus est contenu dans sa graine.

50.- Le monde visible est aussi infus dans le mental omniscient que la lumière est inhérente aux rayons de soleil et que la vélocité et la fluidité sont innées dans les vents et les liquides.

51.- Mais les idées visionnaires (rêveuses) des choses visibles sont aussi fausses et éphémères dans le mental des observateurs que la forme d'un bijou dans l'or et l'eau dans le mirage, et aussi fausses que la fondation d'un château dans l'air et que la vue d'une ville dans un rêve.

 

SECTION III

Kaivalya

52.- Mais de la même manière que les phénomènes n'apparaissent pas autrement que réels à leur observateur, je vais maintenant, Rama, les nettoyer de ton mental comme on le fait de la poussière d'un miroir.

53.- De même que la disparition ou que l'apparition en rend l'observateur non observateur, sache qu'une telle chose est l'état d'abstraction du mental de tout ce qui est réel ou irréel dans le monde.

54.- Cet état étant atteint, toutes les passions de l'atman et les désirs du mental seront au repos, comme les torrents des rivières se calment à la suite de l'apaisement du vent.

55.- Il est impossible que des choses ayant les formes de l'espace, de la terre et de l'air présentent les mêmes caractéristiques à la claire lumière qu'elles présentent à notre vue.

56.- Ainsi quand l'observateur en vient à connaître l'irréalité du phénomène des trois mondes aussi bien que de sa propre entité, c'est alors que son pur atman atteint la connaissance de kaivalya ou unicité de l'existence divine.

57.- C'est un mental de la sorte qui réfléchit l'image de Dieu en lui-même comme dans un miroir; tandis que tous les autres sont des blocs de pierre, incapables de recevoir quelque réflexion que ce soit.

58.- Après la suppression du sens de l'ego et du 'toi', et de l'erreur de la réalité du monde extérieur, (celui qui voit) devient abstrait et demeure sans vision des choses extérieures dans sa posture assise."

59.- Rama répliqua : "Si la perception de l'entité n'a pas à être abattue, qu'une entité ne devient pas non-entité et que je ne peux voir les choses visibles comme non entités,

60.- dis moi alors, ô brahmane, comment déraciner cette maladie de notre désir pour les choses visibles qui vient du mental, qui déroute l'entendement et nous afflige de toute une série de troubles."

61.- Vasishtha répondit : "Ecoute maintenant mon conseil, Rama, pour la suppression de ce fantôme du phénomène, par lequel il disparaîtra et s'éteindra finalement.

62.- Sache, Rama, que rien de ce qui est ne peut être jamais détruit ni disparaître et que même si tu l'enlèves il laissera pourtant sa semence ou sa trace dans le mental.

63.- Cette graine est la mémoire de telles choses, qui rouvre les idées des choses visibles dans le mental, s'étendant elles-mêmes dans les notions erronées des formes des grands mondes et des cieux, des montagnes et des océans.

64.- Ces (fausses idées), appelées doshas ou fautes et défauts de l'entendement, sont des obstacles sur le chemin de la libération, mais elles n'affectent pas les sages que l'on trouve libérés.

65.- En outre si le monde et toutes les autres choses sont des existences réelles, elles ne peuvent pourtant pas conférer la libération à qui que ce soit; parce que les choses visibles, qu'elles soient en nous ou en dehors de nous, sont elles-mêmes périssables.

66.- Apprends donc cette proposition terrible (vérité solennelle) qui te sera pleinement expliquée dans les parties suivantes de cet ouvrage.

67.- Que toutes les choses apparaissant sous les formes de vide, de corps élémentaires, de monde, et d'ego et de toi, sont des non-entités et qu'elles n'ont aucune signification en elles-mêmes.

68.- Tout ce qui est apparent devant nous n'est rien d'autre que le Suprême Brahman Lui-même et son essence incorruptible et impérissable.

69.- La plénitude de la création est une expansion de son plenum, et le silence de l'Univers repose dans sa quiétude. C'est son beom qui est la substance du vide, et c'est son immensité qui est le substratum de l'immense cosmos.

70.- Rien de ce qui est visible n'est réel, et il n'y a ici ni spectateur ni spectacle (1). Il n'y a rien comme de la vacuité ou de la solidité dans la nature, mais tout ceci n'est qu'un morceau de Conscience étendue."

71.- Rama répliqua : "Les adages qui se rapportent au broyage des rochers par le fils d'une femme stérile, aux cornes d'un lièvre et à la danse d'une montagne les bras étendus;

72.- à l'adoucissement de l'huile à partir du sable, à la lecture par des poupées de marbre et au rugissement des nuages dans un tableau et autres choses semblables, s'appliquent à tes paroles.

73.- Je vois ce monde plein de maladies, de morts et de troubles, de montagnes, de vides et d'autres choses, et comment se fait-il que tu me parles de leur non-existence ?

74.- Dis-moi comment tu peux dire de ce monde qu'il est insubstantiel, non-produit et inexistant, que je puisse être certain de cette vérité."

75.- Vasishtha répondit : "Sache, Rama, que je ne suis pas un orateur contradictoire, et écoute moi t'expliquer comment l'irréalité apparaît comme réelle, de la même manière qu'on parle du fils d'une femme stérile.

76.- Tout ceci était non-produit avant, et n'existait pas au commencement de la création. C'est apparu à partir du mental comme une ville dans un rêve.

77.- Le mental non plus n'était pas produit au commencement de la création et était lui-même une irréalité. Aussi entends-moi te dire comment nous en sommes venus à en avoir la notion.

78.- Ce mental irréel répand par lui-même les scènes fausses et changeantes du monde visible, tout comme nous rêvons vraies les irréalités changeantes dans un état de rêve.

79.- Il emploie alors sa volition dans la fabrication du corps et étend en long et en large la scène magique du monde phénoménal.

80.- Le mental, par sa potentialité de vacillation, a beaucoup d'actions de son propre fait, comme celles de l'expansion, du mouvement, de la passion, du vagabondage, de la plongée et de la saisie et de beaucoup d'autres efforts volontaires."